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12 Juin 2020

Entretien avec Matthieu Witvoet : « Le mégot est devenu pour moi le symbole à abattre »

Cette semaine, nous avons échangé avec Matthieu Witvoet, aventurier, conférencier et nageur engagé dans la lutte contre la pollution plastique qui menace notre planète. Rencontre.

Bonjour Matthieu, peux-tu te présenter et nous parler de ton parcours ?

J’ai 26 ans et deux passions : le sport d’endurance et la préservation de l’environnement. Le sport m’a amené à faire mes études dans un campus en Angleterre, Loughborough, où s’entraînent les meilleurs nageurs anglais. Comme j’avais pas mal de temps libre en dehors de mes études, et qu’ils valorisent tout ce qui est extra-scolaire, j’ai rejoint l’association Enactus où l’on m’a enseigné ce qu’était le « Social Business ». J’y ai appris notamment que l’entreprise pouvait être un véhicule pour promouvoir une société plus sociale et environnementale. A l’issue de mes études, j’ai décidé de mettre mon énergie à conjuguer mes 2 passions, et en 2017, avec mon cousin, nous avons décidé de faire un tour du monde à vélo pour sensibiliser sur la pollution des déchets plastiques. Cela m’a amené très loin de la piscine et permis de faire des rencontres assez exceptionnelles. Pendant pratiquement 1 an, nous avons pédalé 18 000 kilomètres dans 17 pays. Nous avons remonté toute l’Afrique de l’Est, traversé l’Inde d’est en ouest, la Nouvelle-Zélande, 2 fois le désert d’Atacama au Chili, et surtout rencontré des gens qui m’ont beaucoup inspiré, dont Stéphane, un belge qui a lancé des actions de recyclage du plastique au Mozambique, ou Juan, qui fabrique des vélos à partir de bouteilles en plastique récoltés dans les favelas du Brésil. Ces personnes m’ont donné l’espoir que nous pouvions trouver des solutions techniques face aux problèmes que nous avons créés, et notamment face aux 18 tonnes de plastiques qui sont déversés dans les océans chaque minute. Pendant notre tour du monde, nous avons créé une web série pour sensibiliser sur les solutions face à cette catastrophe, et nous avons été très surpris de l’impact qu’a eu notre travail.

Et après ce tour du monde ?

Après notre tour du monde, je suis rentré en France avec plein d’espoir et d’envie. J’ai vécu cette expérience comme une formation. Comme je n’ai pas fait de Master, cette aventure a été mon Master terrain ! J’ai rejoint la start-up Circul’R qui fait le pont entre les solutions qui existent partout dans le monde et les grands groupes. C’est ici que je mets quotidiennement mon énergie professionnelle en faisant des conférences, en animant des groupes de travail et des formations.

Quelle place occupe la natation dans tout cela ?

J’adore la natation, parce que c’est le sport qui me permet de savoir le mieux qui je suis, et qui inhibe tous mes sens. Quand on nage, il y a très peu de bruit, on ne voit pas grand-chose, et on n’a pas de conversation. Cela favorise la réflexion et la sensation de glisse. Pour moi, la natation est une vraie quête intérieure.

A notre retour à Paris, le passage de la vie sous la tente pendant un an à celle d’un petit appartement n’a pas été simple. Avant notre tour du monde, une des premières idées que nous avions eue était de traverser le détroit de Gibraltar à la nage. Nous avions adressé alors à l’association qui gère les traversées un email pour nous inscrire. Il fut d’abord resté sans réponse. Mais 2 ans après, nous avons reçu un email nous informant que c’était notre tour et que nous avions 24h pour indiquer la date qui nous convenait le mieux. 23h après je ne savais toujours pas si j’avais envie de me lancer dans cette nouvelle aventure, parce qu’après 1 an sans avoir nagé et le manque d’expérience dans des épreuves d’eau libre longue distance, ce n’était pas une évidence. Je nage depuis que je suis petit dans un club, mais j’étais plutôt du genre à me cacher et éviter tout ce qui était un peu dur. Sans me rendre compte de l’ampleur de l’effort que cela représentait, je me suis finalement dit « Bingo ! », et j’ai fixé la date de la traversée à octobre 2018. Suite à ma décision, j’ai réussi à convaincre ma copine Chloé de me rejoindre dans cette aventure, qui vivait à ce moment là en Angleterre.

Je me suis entraîné seul pendant un an. Au début, je nageais 10 à 15 km par semaine puis, beaucoup plus à l’approche de ce défi, avec la difficulté de conjuguer parallèlement travail dans une start-up et déplacements fréquents. Je me levais le matin à 6h00 pour nager dans les piscines parisiennes, pas toujours ouvertes à proximité de mon domicile, et le soir je remettais parfois cela. Cette expérience m’a permis de me recentrer sur mes besoins, ce que j’avais envie de faire, et m’a donné une rigueur dans mes habitudes. A aucun moment, je n’ai eu envie de faire marche arrière, et cela m’a même permis de mieux accepter la difficulté de vivre à Paris.

Et comment la traversée s’est-elle passée ?

La traversée fait 17 km et le plus compliqué à gérer ont été les conditions rencontrées en mer. Tu nages entre 2 continents, entre 2 montagnes avec des vents forts, entre un océan et une mer et avec un trafic maritime intense. Il faut être capable d’élever son rythme quand c’est nécessaire, ce qui a représenté pour moi un sprint continu. Si tu ne mets pas de rythme, le courant t’emporte et tu fais plus de chemin. Il faut également que je vous dise que nous étions 3 à faire la traversée, après que mon frère Lucas nous ait rejoints 2 mois plus tôt. Il s’est décidé après s’être senti très à l’aise sur la traversée de la Gironde en m’accompagnant dans ma préparation. Une fois sur place, nous avons attendu 10 jours à Tarifa avant de trouver les bonnes conditions. Nous avons finalement mis 5h17 et avons terminé à 3, même si nous avons eu quelques frayeurs suite à la difficulté de Lucas d’uriner dans sa combinaison. Cela nous a fait perdre une dizaine de minutes avec l’inquiétude du Capitaine qui s’est mis à l’eau pour l’aider. Cela nous a obligé à encore accélérer pour ne pas se faire emporter par le courant avec la difficulté pour Chloé de suivre le rythme.

Après cette traversée, nous venons de découvrir que tu te lançais dans un nouveau projet à la nage appelé O mégot, peux-tu nous en dire quelques mots ?

La traversée du détroit de Gibraltar à la nage m’a appris 3 choses. Après la réussite de notre traversée, nous avons posté une petite vidéo et en quelques heures nous nous sommes retrouvés avec 30 000 vues ! Là je me suis dit : ah oui, le sport est un vrai véhicule pour avoir de l’attraction médiatique. Deuxièmement, plus c’est local, plus les gens se sentent engagés. Le fait que nous soyons dans un endroit proche de la France touche les gens plus facilement que lorsque l’on est à l’autre bout du monde. Enfin, le fait de parler de la pollution des océans par les plastiques engage de nombreux publics.

Suite à cette expérience, nous nous sommes posés la question de trouver un défi qui ait encore plus d’impact, et qui nous permette d’aller encore plus loin dans nos retranchements physiques et personnels. Après avoir passé une mauvaise nuit, j’ai eu l’idée de préparer un événement dans la Seine.

Si tu prends le déchet le plus présent dans les océans, c’est le mégot de cigarette. C’est 40 000 mégots qui terminent par terre chaque minute en France et qui sont extrêmement toxiques. Un mégot pollue 500 litres d’eau de par l’ensemble des composants chimiques qui le composent. Où que tu sois en ville, et notamment à Paris, il y a des mégots qui jonchent le sol. Le mégot est donc devenu pour moi le symbole à abattre ! J’ai donc imaginé l’aventure folle de retracer à la nage le parcours d’un mégot jeté dans la Seine à Paris et qui termine son parcours dans la mer, soit 360 km plus loin au Havre.

Comme j’aime le côté collaboratif du sport, je vais effectuer à nouveau cette aventure avec ma copine Chloé et mon frère Lucas sous la forme d’un relais où nous nagerons à tour de rôle toutes les heures pendant 8 jours. Le périple est programmé du 31 mai 2021, jour de la Journée sans tabac, au 8 juin, Journée mondiale des océans, avec l’ambition que des nageurs, célèbres ou non, nous suivent tout au long du parcours, et l’objectif de récolter 1 million de mégots. Dans ce projet, j’ai été beaucoup inspiré par ce que fait le nageur anglais Lewis Pugh qui a développé la « speedo diplomacy », la diplomatie du maillot de bain. Un de nos partenaires sera la Water Family avec qui nous avons l’idée de développer un outil pédagogique pour que des écoles nous suivent dans notre aventure.

Enfin pour terminer, tu as participé à plusieurs événements Open Swim Stars Harmonie Mutuelle Paris. Que retiens-tu de ces épreuves ?

Ma première participation à l’Open Swim Stars Paris était en 2017 sur le 5 km, ce qui était énorme pour moi à l’époque. C’était juste avant de partir pour mon tour du monde. En 2018, nous avions choisi l’événement avec Chloé et Lucas, dans le cadre de la préparation de la traversée de Gibraltar. Eux avaient participé au 10 km, et moi comme j’étais retenu, à ma grande frustration, le samedi soir pour un Ted X à Versailles, j’avais nagé le 2 km le dimanche matin. Pour la petite histoire, encore frustré de la veille, je pars à fond et me retrouve 2e à la première bouée. Je m’accroche tout au long de la course et termine 2e à l’arrivée. Tout à ma joie d’un podium, je me rends compte quelques minutes plus tard que j’avais nagé dans la première vague, celle des nageurs les moins rapides (rires).

Plus sérieusement, ce qui m’avait étonné lors de ma participation en 2018, ce fut de constater que les actions qui étaient menées en termes de défense de l’environnement avait une cohérence entre le discours et les actions. Il y avait des fontaines d’eau et non des bouteilles d’eau à l’arrivée, des lots durables, et j’ai aimé l’événement pour cela. Je me suis dit que je n’étais pas obligé de sacrifier mon engagement pour la défense de l’environnement pour participer à un événement qui me fait plaisir, comme cela peut être le cas sur d’autres courses où beaucoup de déchets plastiques sont produits. Sinon, j’ai adoré l’ambiance festive. Je suis venu avec ma famille, mes cousins anglais avaient participé. Ce fut pour moi un moment très particulier, avec des sourires, de l’émotion et du sport.

Pour suivre le projet de Matthieu : O mégot