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20 Jan 2023

Ludivine Blanc : 3 titres et 3 records du monde

Nous avons recueilli les premières réactions de Ludivine Blanc, notre préparatrice mentale, après qu’elle ait remportée 3 titres au championnat du monde de nage en eau glacée le week-end dernier à Samoëns.

Ludivine, 3 titres et 3 records du monde en 3 courses. Sans trop réfléchir, quel mot et image te viennent à l’esprit après ce championnat ?

Le premier mot est « partage » et l’image est le virage du dernier 25 mètres de mon 100 mètres nage libre où l’on se regarde avec l’allemande Alisa Fatum. Oui, c’est vraiment le « partage » de nos émotions avec les nageurs venus de tous les pays. C’était vraiment super. Mais aussi partager nos différentes techniques pour mieux appréhender l’échauffement avant la course notamment.

Et obtenir 3 titres de championne du monde, qu’est ce que cela procure comme sensations ?

C’est une très bonne question, mais ces titres ne m’empêchent pas d’avoir à faire la vaisselle en rentrant à la maison (rire). En fait je ne m’y attendais pas. C’était la première fois que je participais à un championnat du monde toute discipline confondue, et c’était seulement ma deuxième compétition en Ice Swimming. C’était impressionnant parce que je n’ai pas encore beaucoup d’expérience, et le fait qu’il y ait autant de nations représentées cela donnait une autre dimension. Cela parlait anglais de partout, et les échanges se faisaient principalement en anglais alors que nous étions en France. Cela m’a fait prendre conscience que ce n’était pas une compétition comme celles que j’ai l’habitude de vivre ! 

Peux-tu nous raconter comment tu as vécu de l’intérieur ce championnat ?

Le jour avant les épreuves était réservé aux tests médicaux pour obtenir la pastille verte permettant de participer aux épreuves. A chaque épreuve ton accréditation était contrôlée dans la chambre d’appel, et sans la pastille, impossible de prendre le départ d’une épreuve de la compétition ! Ce fût le premier stress de la compétition, notamment quand tu arrives dans cette grande salle et que tu vois les nageurs allongés à qui l’on contrôle la tension artérielle. Le premier jour j’étais très stressée parce que l’on nous a annoncé que la température de l’eau était de 3,7 degrés, et je n’avais jamais nagé dans une eau si froide. L’eau du championnat de France était de 4,6 degrés et j’entendais les nageurs plus expérimentés qui disaient que cela faisait une grosse différence.

Tu n’avais pas testé la température de l’eau du lac la veille comme cela était permis ?

Non, je me suis laissée la surprise comme je l’avais fait au championnat de France. Comme cela s’était bien passé, j’ai réitéré la même pratique avant le 50 m dos, même si j’étais très stressée dans la chambre d’appel. Et j’ai réussi à faire abstraction au départ. Je me suis dit que j’étais là avant tout pour prendre du plaisir, et rappelée qu’il y a seulement 5 semaines je n’avais jamais nagé dans de l’eau à moins de 12 degrés. Comme cela s’était bien passé, cela m’a détendue.

Et as-tu senti une vraie différence en entrant dans l’eau avec un degré de différence ?  

J’ai senti la différence de température, mais j’ai surtout senti la différence de progression personnelle. J’ai senti que cela était très froid et je n’ai pas subi. Alors que lors des France ma respiration s’est bloquée et j’ai eu beaucoup de mal à respirer, mais là j’ai maitrisé. Je savais comment mon corps allait réagir.

Tu as participé au 50 mètres dos puis au 100 mètres nage libre. Comment as-tu abordé cette deuxième épreuve où tu devais passer 2 fois plus de temps dans l’eau ?

Déjà j’étais beaucoup moins stressée pour cette deuxième course parce que je connaissais déjà les sensations de nager à 3,7 degrés. En nageant à côté de Alisa Fatum, la détentrice du record du monde de la distance, je savais que cela ne serait pas facile mais je ne me suis pas mis la pression. Je me suis dit : advienne que pourra, tu touches le mur et si le résultat est là tant mieux !

Tu as finalement remporté cette épreuve de 5 centièmes face à l’allemande et pris son record du monde. Comment as-tu vécu ce moment ?

En fait c’est très bizarre. J’ai touché le mur, et dans un premier temps j’ai entendu les gens crier et un des chronométreurs français me féliciter. J’ai compris qu’il se passait un truc, mais j’avais tellement mal que je ne pensais qu’à sortir de l’eau. J’ai vraiment eu beaucoup de mal à sortir d’ailleurs. Une fois sorti je me suis retrouvée à 4 pattes par terre en essayant de sortir mes pieds de l’eau. C’est seulement 15 à 20 secondes après être debout, repris ma respiration, gérée la douleur liée au froid, que tout le monde me félicitait, qu’il y avait des journalistes autour de moi, que j’ai réalisé ce qu’il se passait. D’ailleurs cela se voit sur la vidéo avec mon visage qui change d’un coup d’expression.

Et enfin, il y a eu ta 3e et dernière épreuve, le 50 m nage libre, que tu as remportée avec beaucoup d’avance.

Avant le départ j’étais à nouveau très stressée parce qu’il y avait une des filles qui avait nagé très vite dans un des relais disputé la veille. Elle était annoncée en 28’’8 mais finalement ce n’est pas elle qui aurait nagé. Ce serait apparemment un ordre de départ de relais non respecté et il lui aurait été attribuée le temps d’un garçon. Pendant la course, j’ai vu au virage que j’avais déjà une bonne avance ce qui m’a permis de me concentrer sur ma nage dans le 2e 25 m avec l’envie de sortir de l’eau le plus vite possible. J’étais en mode « survie » et c’était très étrange parce que tout le monde hurlait, j’ai senti la vague des autres nageuses arriver après moi et j’ai tout de suite regardé le tableau pour vérifier s’il n’y avait pas une autre fille positionnée avant moi. J’étais bien première avec plus de 2 secondes d’avance. Mais on n’en est pas resté là. Il y a eu un « up and down » parce qu’un des arbitres m’a disqualifiée en raison d’un départ incorrect. Je n’avais soi-disant pas le regard tourné vers l’autre bout du bassin avant le start. J’ai porté réclamation, sauf qu’il n’y avait pas de protocole de réclamation. Cela a été un peu compliqué, ma chance a été qu’il s’est passé la même chose chez les garçons où le premier du 50 mètres nage libre a lui aussi été disqualifié pour la même raison. A partir de là, les organisateurs français sont allés rencontrer les arbitres en leur disant qu’ils ne pouvaient pas disqualifier les nageurs pour ce motif, ou alors il fallait disqualifier tous les nageurs. Sur les vidéos on voit bien que les têtes sont dans l’axe et qu’il est impossible de voir à travers les lunettes pour vérifier si les regards sont bien tournés vers le bout du bassin. J’ai dû attendre plus de 2h30 avant qu’il m’appelle pour m’informer que j’étais bien championne du monde avec le record du monde homologué.

Et maintenant que tu as terminé ta saison en eau glacée, tu penses prolonger l’expérience la saison prochaine ?

J’aimerais bien nager un 250 mètres pour voir si j’arrive à le tenir. Tout le monde me parle du 1 km qui est l’épreuve ultime, mais je ne me sens pas prête à le faire. Ni un 500 mètres d’ailleurs. Encore une fois, c’était un « one shot » avec l’ambition de découvrir la discipline. Maintenant avec l’expérience, je ressens moins le froid et j’ai bien envie de tester plus long. On verra bien, et de toute façon si je souhaite nager une épreuve plus longue, je n’ai pas le choix : au-delà du 100 mètres il y a le 250 mètres comme épreuve !

LE DOCUMENTAIRE : « Elle bat des records du monde de natation dans une eau à 4 degrés ! »

Interview réalisée par Laurent NEUVILLE le 17 janvier 2023