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5 Juin 2020

Entretien avec Marion Joffle : « Nager un Mile dans une eau à -1°C, et tout ça pour le plaisir »

A moins de 100 jours de sa tentative de traversée de la Manche à la nage, nous avons échangé avec Marion Joffle. Cette jeune nageuse d’eau libre enthousiaste est devenue en Slovénie en février dernier, double Championne du Monde de Winter Swimming, décrochant au passage un record du Monde. Engagée auprès de l’Institut Curie, elle nous parle aussi de son engagement contre le cancer des enfants. Rencontre avec l’une des meilleures nageuses en eau froide du monde.

Bonjour Marion, peux-tu te présenter et nous dire comment tu t’es entretenue physiquement pendant la période de confinement ?

J’ai 21 ans et suis actuellement étudiante en 2e année de STAPS en éducation motricité à Caen. La semaine, je nage au club de natation de l’Entente Nautique Caennaise une vingtaine d’heures, et le week-end je rentre chez ma maman qui réside à Lisieux. A la rentrée prochaine, j’ai prévu de faire une pause dans mes études afin de travailler en tant que maître-nageur pour me financer des formations diplômantes dans le sport et le management. Pour le moment cela reste un projet, mais je vais affiner cela après ma traversée de la Manche programmée en septembre.

Pour rester en forme au début du confinement, je me suis amusée à faire des séjours dans le congélateur familial. Cela avait pour vocation de faire des publications marrantes, mais également pour rester prête pour un Raid de natation en arctique auquel j’étais inscrite, mais qui a finalement été repoussé à mai 2021. Mais en fait cette expérience ne convenait pas du tout (rires). Plus sérieusement, j’ai fait de la PPG un peu tous les jours et j’ai même acheté une barre de traction pour maintenir un minimum de force dans les bras.

Peux-tu nous dire comment tu as débuté la natation et plus particulièrement l’eau libre ?

C’est un peu particulier. Mon histoire avec la natation est née d’une frustration. En 2007 pendant mes vacances à Canet-en-Roussillon, il y avait un immense toboggan, et comme je ne savais pas nager il m’était interdit. En rentrant en Normandie, j’ai pris une trentaine de leçons et après mes premières brasses je me suis inscrite au club de natation de Lisieux. Pour la natation eau libre, c’est une amie qui m’a incitée à venir faire l’épreuve de 1 km du Tour du Roc à Granville en 2011. J’ai trouvé cela magique ! La sensation de liberté, de ne plus nager entre 4 murs, m’a époustouflée ! J’ai adoré nager avec les vagues, les méduses aussi (rires). De là, je me suis lancée chaque année des challenges avec l’ambition de tenter des épreuves de plus en plus longues et d’atteindre un podium. Cela a débuté d’abord avec des 5 km, puis 10 km, pour tenter mon premier 25 km en 2016 avec le coaching de Loïc Branda. J’ai réussi à boucler l’épreuve en 6h25, et termine 7ème française et vice-championne de France Cadettes. Cela a été un immense plaisir à l’arrivée avec des larmes de joie.

Tu es aujourd’hui une des meilleures nageuses du monde en eau froide, peux-tu nous dire comment tu en es arrivée là ? 

Cela part de mon projet de traverser la Manche à la nage. Dans le cadre de la préparation, Philippe Fort m’a proposé de nager en eau froide. Je lui ai dit oui et je ne savais pas du tout dans quoi je m’aventurais (rires). Il m’a accompagnée sur une compétition d’Ice Swimming en Allemagne fin 2018, où j’ai testé le 1 km dans une eau à 3,8 degrés. Il y a eu un déclic, et je me suis dit que cette discipline était faite pour moi. J’ai beaucoup aimé ce côté à la fois difficile et chaleureux. Les ice swimmers forment une grande famille, il y a une bonne ambiance et c’est festif. Un peu comme ce que l’on retrouve sur les Open Swim Stars Harmonie Mutuelle, en fait. L’objectif est de terminer, on s’encourage. C’est la bonne entente.

Avec la consécration en nage en eau froide, en ce début d’année…

Oui, lors des championnats du monde de Winter Swimming en Slovénie, j’ai remporté les titres sur 25 m et 50 m brasse, et établi le nouveau record du monde sur le 50 m brasse. Je termine également 2ème du 100 m brasse et du 50 m papillon et 3ème du 1 000 m. Quant aux Championnats de France qui se sont déroulés à Samoëns, j’ai obtenu 5 titres et 2 deuxièmes places. On peut donc dire que cette saison en eau froide s’est bien passée.

Tu évoques un projet en Arctique repoussée à 2021 et la traversée de la Manche en septembre*, peux-tu nous en dire un peu plus ?

Pour mon projet en Arctique, il s’agit d’un raid aventure d’une semaine à Svalbard en Norvège organisé par l’International Ice Swimming. Plusieurs épreuves ont lieu. Cela débute par de la nage au milieu de growlers (gros glaçons flottants entre deux eaux) pour s’acclimater, puis on réalise des épreuves de 500 m à 1 000 m, et en fin de séjour, on doit tenter de nager un Mile (1609 m) dans une eau négative (-1 degré). Et tout cela pour le plaisir (rires) ! C’est un peu douloureux, mais cela me va. J’aime beaucoup le côté difficile. On prend sur soi et le mental est primordial.

Pour la Manche, c’est un projet lancé maintenant depuis mars 2017 suite à mon inscription auprès de l’association qui gère les traversées. Bien que de nombreuses traversées aient déjà été annulées, ou reportées en raison de la pandémie de Covid-19, mon créneau est maintenu pour la période du 9 au 15 septembre prochain. C’est une chance qu’elle soit maintenue sinon elle aurait été reportée à 2022, et psychologiquement je ne sais pas si j’aurais pu tenir jusque-là. Cela ne va pas être facile malgré tout, parce qu’avec les 2 mois perdus d’entrainement, et le peu d’épreuves d’eau libre programmées ces prochaines semaines, cela va élever le niveau du défi. Cela m’ajoute aussi un peu de pression parce qu’il ne faut pas que je lâche dans les mois à venir. J’ai malgré tout la chance d’avoir la mer à proximité, et depuis que c’est autorisé je nage tous les jours au minimum 1h avec mon entraîneur, quelles que soient les conditions. Je vais augmenter progressivement de 15 minutes chaque semaine la durée du temps passé dans l’eau, pour qu’à la fin juin je réalise des séances de minimum 2 heures sans m’arrêter. J’y vais doucement dans la reprise pour ne pas me blesser et ne pas perdre le plaisir de nager. Et puis même si je risque de manquer de volume d’entraînement, j’ai déjà démontré que j’avais des qualités d’endurance sans trop de pratique, notamment en bouclant des 24h de nage non-stop en parcourant 60 et 70 km.

Nous te savons engagée auprès de l’Institut Curie qui lutte contre le cancer des enfants. Peux-tu nous dire ce qui t’a amené à soutenir cette association ?

Ma seconde vie démarra en 2005, à l’âge de 6 ans, avec la découverte d’un sarcome épithélioïde sur mon majeur droit. Au début cela faisait penser à une verrue, mais suite aux examens les médecins ont découvert que c’était un cancer des tissus mous. La solution était chirurgicale et cela m’a amenée à l’amputation en juin 2005 à l’Institut Curie, et depuis j’ai 4 doigts à la main droite. Aujourd’hui, au travers de mon projet de traversée de la Manche, je soutiens l’Institut Curie pour l’aide à la recherche et pour améliorer la qualité de vie des enfants touchés par le cancer.

Enfin, tu as participé à plusieurs épreuves de notre circuit Open Swim Stars Harmonie Mutuelle, qu’en retiens tu ?

Ma première participation a eu lieu à Paris en 2017 où Théo Curin et Camille Lacourt étaient présents. J’avais participé au 5 km entre 2 épreuves du Bac et cela m’avait permis de décompresser. J’ai également participé à celle de Douarnenez et à nouveau Paris en 2018. J’aime beaucoup votre concept, c’est très sympa et cela permet de sortir du cadre fédéral. Tous les nageurs peuvent participer. J’aime cette ambiance où l’objectif est prioritairement de terminer et de nager avec les autres dans une ambiance festive.

* Si vous souhaitez suivre ou soutenir Marion dans son défi, vous pouvez vous inscrire à sa page Facebook : Marion Joffle Traversée de La Manche