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10 Avr 2025

Frédéric Taillandier : « Nager pour moi, c’est être utile »

Ce mois-ci nous avons rencontré Frédéric Taillandier qui s’est découvert une passion pour la nage en eau libre, par tous les temps, après avoir tenté la Traversée de la Manche pour ses 50 ans. Aujourd’hui c’est un ardent défenseur de l’environnement aquatique, et il nous présente son association « Swim for the Planet » et les épreuves de nage en eau libre longues distances qu’il organise en Loire Atlantique. Nous vous proposons de découvrir le parcours inspirant d’un nageur tourné au quotidien pour la promotion et la défense de notre activité préférée.

Bonjour Frédéric, peux-tu te présenter ?

J’ai 54 ans et j’habite entre Nantes et la côte atlantique. Je suis consultant et formateur dans les domaines de l’environnement et de la santé sécurité au travail, et j’accompagne les entreprises dans leurs transitions sociétales et environnementales. J’ai un parcours professionnel assez atypique. J’ai été tour à tour dans le commerce, assistant social et cadre dirigeant dans une entreprise du BTP.

Quel est ton intérêt pour la natation et plus particulièrement la nage en eau libre ?

J’ai toujours été attiré par l’eau. Petit déjà, je m’éloignais des plages pour rejoindre une bouée jaune ou un rocher au grand dam de mes parents qui ne savaient pas vraiment nager. J’ai toujours nagé mais très peu pratiqué en club ou en compétition, hormis ces dernières années lors de championnats en eaux glacées pour le plaisir d’y retrouver les copains. Ce qui m’intéresse vraiment, c’est le plaisir de nager en milieu naturel, été comme hiver, et de repousser un peu mes limites, que ce soit sur ou sous l’eau avec l’apnée. La natation a toujours été pour moi une activité de loisirs, pratiquée plus ou moins intensément selon les périodes de ma vie. J’ai aussi été sauveteur pendant un temps l’été pour financer mes études. Depuis j’ai toujours nagé régulièrement, que ce soit en mer ou en piscine à minima une fois par semaine, pour des sessions d’entrainement d’une heure ou une heure et demie, mais jamais pour battre des records de vitesse.

Et pourquoi la nage en eau libre ?

Pour mes 50 ans je me suis offert un défi un peu fou, celui de traverser la Manche à la nage. Cette idée était là et voguait dans mon esprit depuis quelque temps. Je me suis décidé, l’esprit encore embrumé, de retour du « Burning Man » 2019 dans le désert de Black Rock au Nevada, et embarqué par des amis qui avaient passé le cap de la cinquantaine comme on fête ses 20 ans. Pour ce projet, j’ai augmenté mon volume d’entraînement en passant d’une à cinq séances hebdomadaires, soit entre 20 et 30 km, avec des sessions dominicales de nage en mer toujours en maillot de bain. Cela m’a permis de découvrir la nage en eaux froides, une préparation incontournable pour celui qui veut réussir « l’Everest de la natation ». En plus du plaisir que j’éprouvais à nager par tous les temps, mon corps en redemandait. J’ai découvert que j’avais de réelles dispositions pour nager longtemps, jusqu’à une heure dans des eaux comprises entre 5° et 10°. Il y avait aussi beaucoup de séances en piscine et le plaisir de la glisse l’emportait toujours sur la lassitude de nager et de nager encore. Je me suis pourtant vite senti un peu esseulé car cette aventure devait être pour moi synonyme de partage. Sur mon chemin j’ai rencontré des nageurs passionnés, notamment dans les stages organisés pour préparer la Manche. Pour me mettre en conditions réelles, j’ai décidé d’organiser à mon tour des défis de nage en eau libre « à partager » avec mes nouveaux « amig’eaux ». J’ai organisé L.A. Swim Trek, consistant à parcourir en plusieurs étapes de 10 à 15 km la Loire-Atlantique à la nage, d’Assérac aux Moutiers, en traversant l’estuaire de la Loire avec une quarantaine de nageurs valides et en situation de handicap qui se sont relayés. Je trouvais beaucoup de sens à tout cela et j’honorais mes valeurs : dépassement de soi (et de son égo), partage, plaisir…

Et finalement as-tu réussi ta traversée de la Manche ?

Et non malheureusement ! L’histoire ne s’est pas déroulé comme je l’espérais. Des conditions de mer compliquées, et la décision irrévocable du pilote de bateau de me faire partir malgré tout, ont eu raison de ma détermination. Avec deux bateaux (sur 12) accompagnants ce jour-là, ce n’était pas la météo idéale pour mettre un nageur dans l’eau. Le lendemain, se fût la fête pour mes petits camarades et leurs douze bateaux accompagnants qui traversait le détroit avec une météo marine plus clémente. Bref, ici aussi, on ne choisit pas le jour de son départ (sourire). Mais il n’y aura pas de revanche après « cette Manche ». Je n’ai pas de regrets, j’ai appris, grandi et pris tellement de plaisir sur ce chemin, de la préparation à cette traversée monumentale. J’ai trouvé ce que j’étais venu chercher et je me suis ouvert à de nouveaux horizons. Une belle histoire ne se réécrit pas….

Je comprends mieux maintenant ton intérêt pour la nage en eau libre. Et maintenant quelles sont tes perspectives ? Pourquoi organiser des événements d’eau libre, comme « l’Erdre à la nage » ou « la Traversée de Noirmoutier » ?

De toutes ces aventures, je garde précieusement près de moi le souvenir de toutes ces rencontres nées d’une passion partagée pour la nage en eau libre. Ces différentes expériences m’ont permis, hélas, de constater les impacts environnementaux des activités humaines sur les écosystèmes marins et aquatiques : l’assèchement du lac de Saint-Croix lié au dérèglement climatique, les canicules marines et les conséquences sur la biodiversité lors d’un tour de l’ile de Porquerolles sans assistance, les espèces invasives (comme les méduses) proliférant du fait de l’érosion de la biodiversité, la pression touristique sur le littoral, les pollutions plastiques, chimiques ou biologiques dont sont victimes régulièrement les cours d’eaux et les côtes françaises. Franchement, on ne peut pas rester sans rien faire. Je trouve que la communauté des nageurs d’eau libre a encore du chemin à faire dans les prises de conscience, contrairement aux surfers avec la « Surfrider Foundation » qui ont souvent bien mieux intégrés ces problématiques. Nous, nageurs, sommes des parties prenantes de cet écosystème. Nous nous réalisons même dans cette relation à l’océan, car nous vivons en osmose avec le milieu aquatique. Aimer l’océan implique nécessairement qu’on le protège, sinon est-ce vraiment de l’amour ?

Je souhaite aujourd’hui créer des événements qui, tout en étant sportifs, aient un impact réduit sur l’environnement et la prise de conscience des nageurs. De l’organisation des manifestations jusqu’à la sensibilisation des nageurs, nous pouvons nager plus VERTueusement en faisant attention à nos déchets, à nos modes de déplacements et à la faune et la flore présentes dans nos lieux d’activités. Nous nous donnons aussi comme mission d’agir au-delà des nageurs en fédérant et interpellant nos partenaires et les citoyens sur les risques que l’océan, comme le vivant, encourent. Nager aujourd’hui pour moi, c’est être utile. Nous le démontrons aussi à travers des événements qui se veulent inclusifs et ouverts aux différences où l’enrichissement mutuel et la coopération sont au cœur de nos intentions.

C’est de ces constats que tu as décidé de créer ton association « Swim for the Planet » ?

La création de cette association a pour objectif d’engager des actions concrètes en faveur de la protection des océans avec un slogan « On veut nager partout ». Cela passe par de la sensibilisation, l’organisation de défis sportifs écocitoyens, la mobilisation d’associations partenaires et de collectivités… Nous constatons de plus en plus souvent que des plages et des rivières sont interdites à la baignade pour cause de pollution, ou de la mauvaise qualité des eaux. Ce n’est pas acceptable et l’interdiction n’est pas une fatalité. Elle doit être considérée comme un point de départ pour analyser les causes, trouver des solutions et améliorer la situation. La question de la « baignabilité », ou comment réunir les conditions sanitaires favorables à la baignade, comporte des enjeux écologiques, de santé environnementale, ou d’accès à la baignade et à l’eau potable pour tous. Au lieu de questionner uniquement la réglementation et les limites qu’elle impose, même au nom du principe de précaution, il serait préférable d’agir pour améliorer les conditions de baignade près de chez soi pour éviter d’alimenter la surpopulation sur des côtes déjà saturées. Et pour finir, nous aurons de plus en plus besoin de ces espaces de fraicheur avec les canicules qu’on nous promet à l’avenir…

Ton prochain événement, l’Erdre à la nage, approche, quel est la date ?

Notre événement a lieu le 8 mai prochain. Il réunira des nageurs avec des profils différents, femmes/hommes, handi/valide, champion ou amateur. Tous auront à cœur de disputer cette nage incroyable dans la « plus belle rivière de France », comme Francois 1er aimait la nommer. Cette fois encore, la quinzaine de participants sont des gens que je connais et qui adhère aux valeurs défendues par « Swim for the Planet ». Les participants viennent avec des intentions qui ne sont pas uniquement sportives. Ils nageront cette fois-ci pour soutenir le combat du collectif « Stop aux cancers de nos enfants », association qui milite pour faire reconnaitre l’existence d’un cluster d’enfants malades sur notre territoire. Les familles veulent comprendre et demandent légitimement des explications. Elles souhaitent que soit établi des liens entre santé environnementale et santé humaine. En effet, le diable se cache aussi dans ce que nous buvons, mangeons ou respirons, mais aussi probablement dans les endroits où nous nageons… Seront présentes aussi Les « Pinks Ladies » de Nantes et Saint-Nazaire, des femmes formidables qui se battent ENSEMBLE contre le cancer du sein. Elles nous inspireront à chacun de nos coups de bras et nous accompagneront sur l’Erdre avec leur dragon boat, une « gondole géante », pour montrer leur engagement pour la vie.

Comment peut-on participer à toutes tes aventures ?

Nos projets relèvent plus de l’expérimentation. Les places sont forcément limitées car nous ne disposons pas d’une logistique, de moyens humains et financiers considérables pour accueillir tout le monde. Les demandes sont nombreuses, et il y aura toujours une place pour celui ou celle qui porte nos messages et nos valeurs, pour celles et ceux qui font le coup de bras de côté. Bien sûr, il faut nager « long », de 10 à 20 km, et se préparer sérieusement. Certains se sont lancés l’an dernier dans la traversée de Noirmoutier sous le regard encourageant de Philippe Croizon, alors qu’ils nageaient à peine 2 km en continu six mois auparavant. Parce que le collectif était là, parce qu’ils ont cru en eux-mêmes dans le regard de l’autre. Les gens qui viennent à la dernière minute, parce qu’il y voit uniquement une lumière d’espoir pour réussir une performance individuelle, ne nous intéressent pas. Peu importe le profil ou l’expérience du nageur, nous privilégions l’agrégation des intentions, des désirs et des énergies positives. Il faut pouvoir passer du solitaire au solidaire si on veut être un « Swimmer for the Planet ». Et là, assurément, quelque chose de fort se passe, toujours…

Comptes-tu développer dans le futur d’autres épreuves dans ta région ?

Nous n’organiserons pas la « Traversée de Noirmoutier » cette année. Réussir l’été dernier un challenge inclusif de 15 km en pleine mer avec 65 nageurs constituait sans doute une première mondiale. C’était un défi logistique hors norme avec une météo clémente. Nous proposerons le 6 septembre prochain une nouvelle formule du défi de la Baie, 20 km de côtier entre Préfailles et les Moutiers, avec des courants de marée portants et soixante de nageurs unis grâce à leurs différences. Et pourquoi pas demain parcourir d’autres traits de côte de notre belle Loire-Atlantique ? Nous avons aussi d’autres projets avec mon ami Valery Joncheray, comme le tournage d’un documentaire « DE CHAIR ET D’EAU – la nage comme chemin de résilience, une ôde à la symbiose entre le corps et l’océan« , qui réunira à l’écran des athlètes (et amis) en situation de handicap particulièrement inspirants. J’aimerais aussi développer des stages en eau libre incluant de la sensibilisation à la protection des océans. Je suis convaincu que cela plairait parce que cela a du sens.

Enfin, es-tu optimiste pour le développement de la nage en eau libre ?

Je suis optimiste. Je vois de plus en plus de gens qui s’y intéressent, qui cherchent des aventures sportives et humaines à leur mesure et de tous formats. Malgré tout, nous constatons ici ou là des sorties ou événements annulés et perturbés à causes des événements climatiques, des pollutions bactériologiques ou de la présence excessive de méduses urticantes… Le maintien et le développement de la nage en eau libre ne se fera que si les océans et la biodiversité sont préservés. Sinon point de salut pour le vivant, et les nageurs reprendront alors le chemin des piscines…

Interview réalisée le 8 avril 2025 par Laurent NEUVILLE

Crédit photo @pascalgayet