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21 Jan 2021

Laurent SITBON « la nage en eau froide est un accélérateur d’amitié »

En ce début d’année nous avons échangé avec Laurent SITBON, animateur d’un groupe de nageurs parisiens en eau froide, « Les Ourcq polaires ». Il nous fait part de son parcours et de sa passion pour cette nage extrême qui en raison de la fermeture des piscines intéresse de plus en plus de nageurs. Rencontre.

Bonjour Laurent. Peux-tu te présenter et nous dire comment tu es devenu un inconditionnel de la nage en eau froide ?

J’aurai 56 ans dans quelques jours et suis ingénieur de formation. Je pilote des projets informatiques pour une importante société de services. Ma première expérience avec l’eau froide c’était il y a 3 ou 4 ans, lors du mariage de ma belle-sœur avec un écossais. J’ai profité d’une baignade organisée en mer au nouvel an, comme c’est de tradition à cette période en Ecosse. Quand je me suis présenté sur la plage, la majorité des nageurs étaient en combinaison alors que j’étais en maillot de bain. Je me suis malgré tout mis à l’eau, et suite à cela j’ai eu une « pêche » pendant plusieurs jours. Je me suis senti très bien, hyper vivant, et j’ai conservé cet effet pendant plusieurs jours.

Suite à cette première expérience j’ai pris part à un stage organisé par Wim Hof dans de l’eau à 0° C, mais c’était seulement de l’immersion. C’est une méthode basée sur l’hyperventilation. Mais ce n’est pas très compatible avec la nage, même si cela permet de mieux appréhender l’entrée dans l’eau glacée et y rester quelques minutes. Comme je cherchais à pratiquer régulièrement pendant la saison d’hiver, j’ai trouvé sur Internet un groupe de nageurs parisiens. Cela m’a permis d’être initié par Alex Voyer, Eddy Laglisse et Raymond Elosua notamment. Le groupe était composé d’une dizaine de nageurs, et nous organisions quelques « ploufs » improvisés dans le Canal de l’Ourcq en fonction des disponibilités de chacun. Et puis j’y ai pris goût. A tel point que j’ai participé l’année dernière au championnat du Monde de « Winter Swimming », qui avait lieu en Slovénie à Bled, sur des distances jusqu’à une centaine de mètres, et au championnat de France de natation hivernale à Samoëns sur des distances jusqu’à 200 mètres.

Je suis également passionné de billard français et suis Président d’une académie à Vanves (92). Je joue plusieurs fois par semaine, mais ma pratique de la natation en eau froide commence à prendre le pas sur « ma vieille passion ».

Suite à cette première expérience, tu as également pris en mains la destinée de ce petit groupe de 10. Tu peux nous en dire plus ?

Depuis 2019, nous avons décidé de faire grandir le groupe en faisant des appels à nous rejoindre via les réseaux sociaux. Aujourd’hui nous sommes environ 150 nageurs, dont 50 réguliers dans la pratique. 50 nageurs actifs, cela dépasse largement nos espérances. Nous organisons régulièrement des rendez-vous dans le Canal de l’Ourcq à Pantin ou à la Villette, mais aussi à Torcy et Cergy pour préparer les épreuves officielles ou championnats. A chaque « ploufs » nous sommes entre 15 et 20 à nous mettre à l’eau, et aujourd’hui, alors qu’il neigeait, nous étions 15 à Pantin avec des petits nouveaux (itw réalisé le 16/01). Sous la neige c’était surréaliste. Nous constatons un véritable engouement, et à ma grande surprise il y a de plus en plus de jeunes à nous rejoindre. Enfin depuis quelques jours nous avons ouvert une page Facebook dédiée à nos « ploufs », et l’on se rend compte qu’il y a une véritable volonté de nager, peut être en raison de la fermeture des piscines. Cela devient donc sérieux !

Nous avons également constaté que cela devenait sérieux, notamment par le nom original que vous avez donné à votre groupe.

En effet, il y a maintenant un an nous avons trouvé ce magnifique nom comprenant un jeu de mots, « Les Ourcq polaires ». Nous venons également de dévoiler notre logo. Ce groupe n’est pas encore constitué sous forme associative, mais nous y réfléchissons. Pour le moment nous sommes seulement présents sur Messenger et Facebook, et cela fonctionne plutôt bien. Comme cette année est particulière avec la Covid, et ne sachant pas comment cela va évoluer, nous sommes prudents pour créer notre association. Mais il est probable que cela s’imposera à nous sous peu. 50 actifs rend la chose viable. Nous avons également rédigé une charte*, « les 10 commandements du nageur d’eau froide ». Il est important que chacun prenne conscience que la natation en eau froide n’est pas sans risques, et qu’il y a des règles à respecter avant de se jeter à l’eau. Nous formons également les nageurs désireux de tenter l’expérience, mais nous les incitons à prendre l’avis d’un médecin au préalable. Pour ma part, je passe régulièrement des visites médicales et des examens approfondis, comme électro-cardiogrammes ou tests d’effort.

Vous nagez régulièrement dans le bassin de Pantin alors que c’est interdit. Comment vivez-vous le fait d’être obligé de nager en pirate dans des lieux non autorisés ?

Personnellement je le vis plutôt mal, par contre il y en a certains que cela excite. Je n’aime pas cette idée de nager dans l’illégalité. Je préfèrerais nager dans un endroit sécure, autorisé comme ce qui existe à la base nautique de Longueil Sainte-Marie (près de Compiègne dans l’Oise), site du club des Ois’eau libre créé par Philippe Fort. J’ai bien conscience qu’il y a un risque sécuritaire de nager dans le Canal de l’Ourcq, où dans tout endroit où la navigation est présente. Il nous est déjà arrivé de nous faire sortir de l’eau une fois ou deux, mais jamais dans le Canal de l’Ourcq, plutôt au bassin de la Villette. Lorsque cela arrive, nous expliquons aux forces de l’ordre dans quel cadre nous pratiquons, et ils constatent bien que nous le faisons avec des règles de sécurité optimales. Par chance nous n’avons jamais été verbalisés. Nous sommes très prudents. Nous nageons toujours sous surveillance avec une bouée de sécurité et jamais seul. Donc cela se passe plutôt bien. Si nous ne pratiquions pas en pirates, nous ne pourrions pas nous préparer pour des épreuves de nage en eau froide. Et pour sortir de l’illégalité nous essayons de nous rapprocher des gestionnaires des bases de loisirs de Torcy et Cergy, mais ce n’est pas simple pour des raisons d’éloignement des sites et de relations tendues parfois avec les gestionnaires.

Tu nous as indiqué en début d’entretien que tu étais tombé par hasard sur la discipline, as-tu un passé de nageur ?

Pas du tout. Je ne suis pas du tout nageur. J’étais plutôt coureur à pied avec quelques marathons réalisés, et j’ai pratiqué le triathlon à une époque jusqu’à effectuer un Half Ironman. Cela m’a obligé à nager bien sûr, mais avec des performances en natation vraiment pas terribles. Ce qui me pose encore aujourd’hui une limite pour participer au championnat de France de nage hivernale organisé par la Fédération Française de Natation. Des barrières horaires viennent d’être mises en place, et lorsque l’on est un nageur moyen comme moi cela devient compliqué, et c’est bien dommage. Surtout sur les distances intermédiaires. Autant je trouve cela normal sur le kilomètre, autant sur des 200 et 500 mètres c’est plus surprenant. Les épreuves de relais ont aussi évolué. Aujourd’hui il faut être licencié dans le même club, ce qui nous empêche de nous inscrire sous la bannière des Ourcq Polaires, comme cela avait été le cas l’année dernière. D’ailleurs cela nous pose un problème plus général, parce que plusieurs de nos nageurs avaient décidé avant l’annulation du championnat de France de ne pas venir à Samoëns pour cette raison. Les relais sont des épreuves ludiques et c’est regrettable que la fédération ne soit pas plus souple sur ce point.

Tu as donc participé à des championnats officiels en 2020, quelle expérience en as-tu retenue ?

J’ai adoré l’ambiance. Peut-être plus à l’étranger qu’en France d’ailleurs. C’est un tout petit milieu. J’imagine que la natation eau libre est un petit milieu par rapport à la natation sportive, mais la natation en eau froide c’est une famille. Tout le monde se connait. On côtoie les champions. On voit les mêmes têtes. C’est un monde très fermé, très confidentiel finalement à l’échelon mondial. Nous étions un millier seulement en Slovénie, et de mémoire une bonne centaine à Samoëns l’hiver dernier. J’ai même récemment initié ma femme et elle adore pratiquer cette discipline peu banale. Elle aime se dépasser, se retrouver avec le petit groupe constitué qui pour la plupart sont devenus des amis. Ce qu’il y a de magnifique, c’est que notre pratique si exceptionnelle a tissé des liens d’amitiés très forts entre nous, et j’en suis le premier étonné. Le fait d’affronter l’eau froide rapproche. La nage en eau froide est un accélérateur d’amitié.

Les médias se sont récemment emparés du sujet et vantent les bienfaits pour la santé de la nage en eau froide. Ressens-tu ces bienfaits au quotidien ?

C’est indéniable. Passé les 2 premières minutes dans l’eau qui sont pour certains difficiles à surmonter, on ressent une poussée d’adrénaline, de cortisol et d’endorphines qui nous « shoote » littéralement. On est des camés finalement (rires). L’on se sent bien dans la journée et le lendemain. Il y a des effets bénéfiques à court et moyen termes. Et surtout, depuis plus de 3 ans, et je touche du bois, je n’ai plus jamais eu de rhume. Alors que par le passé, j’avais 2 à 3 fois par an des petites affections ORL. Et là plus rien ! Pour l’estime de soi c’est très bien aussi. C’est donc le sport santé par excellence.

Enfin, quels sont vos projets à terme et as-tu déjà participé à un Open Swim Stars Harmonie Mutuelle.

Nous avons pour projet d’écrire un livre sur la nage en eau froide, parce que nous avons constaté qu’il n’y a pas beaucoup de littérature sur le sujet. A l’issue de cette saison nous allons réfléchir sérieusement à monter une association. Mais ce serait mieux si nous pouvions avoir un site officiel de pratique au préalable. Quant à vos événements, j’ai participé pour la première fois l’année dernière à celui qui a eu lieu à Pantin. C’était très bien organisé, et pour les nageurs comme moi qui ne sont pas dans la performance c’était agréable. Vous laissez le temps à chacun de faire la distance à son rythme, ce qui permet de terminer son parcours sans le stress de se faire sortir de l’eau avant l’arrivée. J’y ai même retrouvé l’ambiance de Samoëns sans l’esprit de compétition. Bref, c’était plutôt cool !

* LES 10 COMMANDEMENTS DES OURCQ POLAIRES

1. Jamais seul tu nageras
2. Toujours une bouée tu utiliseras
3. Sans bonnes sensations, tu t’abstiendras
4. Les conseils des plus expérimentés tu suivras
5. Très progressif tu seras
6. Tes sensations tu écouteras, le chronomètre tu banniras
7. Rapidement tu te rhabilleras et lentement tu te réchaufferas
8. Les tremblements avec sérénité tu accueilleras
9. Un bonnet de bain tu mettras
10. Les autres nageurs tu surveilleras

DU PLAISIR TU PRENDRAS