PATRICE CHASSERY : Le Challenge de la traversée de la Manche est pour moi « le roi de l’eau libre »
Nous avons échangé avec Patrice CHASSERY, animateur de la page Facebook CHANNEL SWIMMERS qui regroupe plus de 5 600 passionnés de la Traversée de la Manche et de natation extrême. Nageur lui-même, il nous a fait part de sa passion pour ceux qui chaque année tente la traversée. Rencontre.
Bonjour Patrice. Peux-tu te présenter et nous faire part de ta passion pour la traversée de la Manche à la nage ?
J’ai 66 ans et suis originaire de Wissant, un petit village des Hauts de France où autrefois mes aïeux maternels étaient pécheurs. Le village se situe dans le grand site des Deux-Caps, entre le Cap Gris-Nez, lieu au plus près de l’Angleterre, et le Cap Blanc-Nez. C’est un site classé au même titre que le Mont Saint-Michel, et il fait partie des grands sites de France. Je suis depuis toujours très sportif, mais plus plongeur que nageur et plus aucuns fonds de la région n’a de secrets pour moi. Dès que je suis à Wissant je cours entre les 2 Caps, et quand la météo le permet je nage mes 2 km.
Le Challenge que représente la traversée de la Manche à la nage est pour moi « le roi de l’eau libre ». Il n’y a rien au-dessus ! Depuis tout môme j’ai vu arriver des nageurs qui en terminaient avec leur traversée. Ils étaient le plus souvent anglais et jamais français. Depuis maintenant 15 ans je me suis mis en tête de faire connaitre aux français ce Challenge qui est pour les nageurs « l’Everest de la natation ». D’ailleurs, il faut aller voir les anglais. Je vais souvent en face, et il y a un club à Douvres dont l’objet est d’aider les nageurs à se préparer pour la traversée. Dès le mois de mars, l’engouement de tous ces gens à se former pour la traversée est absolument fabuleux. Leur mentalité est très différente de la France. Les samedis et dimanches matin, à partir de 8h00, il y a au minimum 40 nageurs dans l’eau. Nous avons beaucoup de retard. Depuis 1875 seulement 35 français ont réussi la traversée en maillot de bain, contre plus de 800 anglais.
Tu as créé en juin 2018 la page Facebook « Channel Swimmers » qui regroupe aujourd’hui plus de 5 600 « followers » à travers le monde. Dans quel but ?
Mon ambition de départ était de faire connaitre la traversée de la Manche à la nage aux français. On ne rattrapera jamais les anglais, ni les australiens, ni les américains, ni toutes les nations qui sont devant nous, mais au moins un de mes objectifs est atteint. Depuis 2/3 ans il y a de plus en plus de candidats français à la traversée. Si cette page peut à sa façon faire connaitre ce Challenge, alors j’en suis fier. La création de cette page m’aura également permis de faire d’énormes rencontres, et je peux dire qu’aujourd’hui 90 % de mes amis Facebook sont des nageurs. A l’arrivée des nageurs je fais quelques photos et vidéos que j’envoie immédiatement aux pilotes des bateaux accompagnateurs qui pour la plupart sont devenus des amis. Le temps que le nageur rejoigne son bateau il a déjà reçu le cliché souvenir de son arrivée, alors que le plus souvent il n’y a personne sur la plage pour immortaliser cet instant. Il est d’ailleurs très rare qu’il y ait quelqu’un pour les accueillir, le plus souvent en raison du courant. A 30 mn prêt il est très difficile de prévoir le point d’arrivée. Cela se joue le plus souvent entre les 2 caps et parfois au-delà, jusqu’à Calais qui se situe à 20 km de Wissant.
Aujourd’hui tu résides à Chamvres, dans l’Yonne, qui est situé à plus de 400 km de Wissant. Comment fais-tu pour suivre les nageurs ?
Il y a 430 km entre les 2 villes et je fais le trajet tous les week-ends. Je suis présent à Wissant 3 jours par semaine et j’y passe juillet et août en continu, ce qui me permet de suivre la plus grande partie des traversées. Je suis également le maire de cette petite commune de l’Yonne, en raison de la présence de l’entreprise familiale de fabrique de meubles en chêne fondée en 1932 par mon arrière-grand-père. C’est une entreprise familiale de père en fils et c’est d’ailleurs mon fils Arnaud qui la gère aujourd’hui. Et même si j’ai pris ma retraite, je continue à gérer à ses côtés une partie de l’activité commerciale qui compte près de 5 000 clients, dont 20% à l’étranger.
Tu es aussi le père d’Arnaud qui a traversé à plusieurs reprises la Manche et réalisé des grandes traversées à la nage au côté de Philippe Croizon.
Oui et c’est une des raisons pour laquelle je suis toujours très impliqué dans notre entreprise. Arnaud est souvent absent parce qu’Il a toujours un projet d’expédition, un séminaire, une conférence par-ci par-là. Arnaud donne maintenant beaucoup de conférences, mais il est également très impliqué dans le handicap avec son association ALOPIAS. Il accompagne des personnes en situation de handicap dans des expéditions comme récemment en Tanzanie. Et à la fin de ce mois il sera aux cotés de Philippe Croizon et son Académie en Polynésie, pour réaliser la traversée entre l’Ile de Tahiti et celle de Moorea qui aura lieu le 30 novembre.
C’est toi qui lui a donné le gout de l’aventure ?
Oui, peut être en le hissant sur mes épaules à l’arrivée des nageurs (rires). Il a débuté la natation à l’âge de 6 ans et cela lui a sûrement trotté dans la tête. Cela a commencé lorsqu’à l’âge de 8 ans je l’entrainais à nager entre les 2 caps en le suivant en Zodiac. Je l’emmenais jusqu’à 200 mètres du rivage et je lui disais, « maintenant tu rentres seul jusqu’à la plage« . Et dès l’âge de 14 ans il s’est pris au jeu en nageant de plus en plus loin. Aujourd’hui il a traversé la Manche à 4 reprises (2 fois en solo et 2 fois en relais) et nagé avec Philippe Croizon dans son défi de relier les 5 continents à la nage.
Revenons à ta passion. Tu es le premier à avoir suivi la majeure partie des 44 traversées de Chloé McCardel qui vient de réaliser le record du nombre de traversées de la Manche. Comment es-tu devenu, en quelque sorte, son « attaché de presse français » ?
J’ai suivi la première traversée de Chloé en 2009 et j’étais le seul présent au Cap Gris-Nez pour l’accueillir. Cela a immédiatement créé un lien entre nous. Ensuite je l’ai suivi dès que je pouvais. Elle m’informait avant chacune de ses traversées car elle souhaitait que je sois là ! J’étais également présent en 2015 lorsqu’elle a réalisé son « 3 ways » en 36 heures. Depuis elle me rend régulièrement visite à Wissant, ou je vais à Douvres. Nous nageons ensemble et on partage notre amour de l’eau libre. Je connais toute son histoire et notamment qu’elle a commencé à nager seulement à l’âge de 12 ans, ce qui est très tard en Australie. Elle m’a confié qu’à l’origine elle avait une grande admiration pour l’anglaise Alison Streeter, la recordwoman avant elle avec 43 traversées. Elle s’est prise au jeu sans avoir l’idée de vouloir battre son record. Puis petit à petit, elle s’est mise en tête de faire comme elle. C’est une histoire formidable. Et j’étais bien entendu présent pour ses dernières traversées. Suite à la 44e elle m’a dit qu’elle organisait une petite fête à Douvres pour fêter son record et souhaitait que je sois présent. Finalement cela a été une grande fête. Voilà, j’ai un profond respect pour elle et nous avons construit ensemble une grande et belle amitié.
Tu évoquais le fait que seulement 35 français avait réussi la traversée. Que manque-t-il pour que les français tentent plus souvent cette aventure ?
Déjà il manque la connaissance de ce Challenge par les français. Je m’y emploie et c’est mon défi de faire mieux connaitre ce monument de la natation. Le 100 mètres nage libre est l’épreuve reine, mais pour l’eau libre c’est plus compliqué. Ce n’est pas spectaculaire. Pour autant je pense que l’eau libre va exploser en France dans les prochaines années. La communication est lancée à travers les réseaux sociaux et les nageurs. C’est de plus en plus populaire et chaque français qui réussit la traversée devient un ambassadeur. Sans compter l’organisation de vos événements Open Swim Stars Harmonie Mutuelle auxquels j’ai participé à 3 reprises et que je trouve très bien organisés.
Tu es devenu toi-même depuis peu organisateur d’un événement en créant « le Défi des 2 Caps ». Peux-tu nous indiquer en quoi cela consiste ?
J’ai créé ce Challenge avec mon ami Nino Fraguela, nageur aventurier Franco-Cubain. Nous l’appelons entre nous « le Challenge de la Manche avant la Manche ». Cela consiste à relier le Cap Blanc-Nez au Cap Gris-Nez, ou dans le sens inverse en fonction des marées. Cela peut-être également un aller-retour, ce qui fait presque la distance de la traversée de la Manche, soit 30 km. L’objectif de l’événement est d’apporter aux nageurs le maximum de connaissances et les outils pour réussir leur traversée de la Manche. C’est un excellent défi pour préparer les nageurs qui y trouvent les mêmes conditions, avec notamment de forts courants. Le premier défi a eu lieu en 2020. Philippe Croizon est venu avec les gamins de son Académie pour l’inauguration, et ils ont tous réussi le Challenge ! Nous organisons également des stages pour aller à la découverte de la fameuse barrière connue des initiés sous le nom de « cimetière des nageurs ». Et enfin, en juin 2022 nous organiserons l’épreuve avec un départ à l’australienne, et on espère faire venir beaucoup de monde.
Interview réalisée par Laurent NEUVILLE