« J’ai pu me dire que j’y étais arrivé, avec une sensation d’euphorie totale »
Nous vous proposons de découvrir l’aventure d’Harald ELTVEDT, un des fondateurs des Open Swim Stars Harmonie Mutuelle. Harald vient de traverser la Manche à la nage le samedi 9 septembre dernier, et nous avons souhaité vous faire partager l’aventure inédite d’un des membres de notre équipe.
Bonjour Harald. Peux-tu te présenter et nous faire part de ton parcours ?
Tu me connais bien, mais ce que je peux dire c’est que je suis franco-américain et que j’ai un gros attachement à la natation. C’est le sport que j’ai pratiqué toute ma vie à un niveau compétitif jusqu’à l’âge de 19 ans, et à un moment, comme beaucoup, j’ai dû faire le choix d’arrêter de nager. J’ai repris la natation à l’âge de 30 ans aux États-Unis où j’ai participé à des compétitions masters organisées par la fédération américaine (USMS). Parallèlement je me suis intéressé à la nage en eau libre en participant à des épreuves dans la Hudson River à New-York où j’habitais à l’époque. J’ai trouvé cette expérience absolument incroyable. Et lorsque je suis rentré en France nous nous sommes rencontrés et, je ne me souviens plus très bien comment, j’ai réussi à te convaincre d’organiser une épreuve en France. Ensuite, avec Stephan Caron, nous avons décidé en 2011 de relancer la Traversée de Paris à la nage, malheureusement sans succès malgré l’engouement suscité par les nageurs, la ville de Paris et les médias. Puis nous avons organisé la toute première version de l’Open Swim Stars à Singapour en 2014 dans le cadre du show de natation « Swim Stars » où étaient présents soixante des meilleurs nageurs du monde. Puis enfin réussir à proposer à Paris une première épreuve de natation en eau libre depuis plus de 70 ans dans le bassin de la Villette l’année suivante.
Tu es à l’origine un nageur de sprint en dos et tu viens de réussir dans un très bon temps, 10h19, la Traversée de la Manche en maillot. Comment t’es venu cette idée de te lancer un tel défi ?
Je crois d’abord qu’il me manque une case quelque part et que j’aime bien me lancer des défis. Chaque année je me lance un défi. J’ai fait des marathons en courant excessivement mal. Mais je les ai mal faits et je me suis fait mal ! Et avant de traverser la Manche, j’ai commencé à nager sur de longues distances. J’ai réalisé la traversée de Rottnest en Australie en duo avec Johan Dulat (ancien nageur français de niveau national) et le tour de l’Ile de Perhentian Besar en Malaisie, également en duo avec Sébastien Bodet (ancien international français de natation). Et comme je me rendais compte que physiquement cela se passait bien je me suis intéressé il y a 3/4 ans à la Traversée de la Manche, pour me décider en novembre de l’année dernière de la réaliser. Comme c’est un processus compliqué pour s’inscrire, j’ai contacté tous les pilotes habilités à accompagner des nageurs pour une traversée. Ils ne sont que 8, je crois, et ils sont tous surbookés. Sachant que si l’on souhaite pouvoir nager avec des températures de l’eau entre 16 et 18 degrés, la fenêtre de tir ne dure que 4 mois, de juin à septembre. J’ai donc eu de la chance de pouvoir traverser dès cette année.
Tous les nageurs savent en effet qu’il est très compliqué d’obtenir un créneau dans un temps très court pour réaliser une traversée. Comment tu t’y es pris ?
Effectivement le temps d’attente peut être de minimum 2 ans pour obtenir un créneau. Je n’ai pas lâché au téléphone les pilotes. Et tu me connais, je leur ai dit que la vie était injuste (rires), et l’un d’eux a fini par m’en proposer un à la suite d’une annulation qu’il venait d’avoir en me disant que je devais donner ma réponse immédiatement. Début janvier j’avais mon créneau, et voilà c’était parti !
Comme tu vis à l’année à Singapour, où la température de l’eau est plus proche de 28 que de 16 degrés, comment t’es-tu préparé ?
D’abord tout le monde ne se lance pas dans un tel défi. Il faut déjà être nageur. Mais même en étant nageur je nageais au maximum 3 fois par semaine sur des distances comprises entre 3 et 4 km, soit au maximum 12 km. C’est d’abord une prise de conscience qu’il va falloir énormément augmenter ton volume d’entrainement, et cela ne s’improvise pas. J’ai demandé à Sébastien Bodet de me préparer un programme d’entrainement. A partir de janvier je nageais 5 à 6 fois par semaine, dont 1 fois en eau libre afin de doubler le volume habituel et nager 20 à 24 km par semaine. Mais il n’y a pas que cela. Effectivement la température de l’air et de l’eau à l’année à Singapour oscille entre 28 et 30 degrés, ce qui ne prépare absolument pas au froid. J’ai donc commencé des bains de glace en me faisant livrer à la maison environ 100 kilos de glaçons par semaine. Et il y a la préparation mentale qui va avec. Pour se mettre dans un bain de glace il faut se préparer, et j’ai mis en pratique la méthode « Wim Hof » basée sur la respiration et la méditation. Elle m’a permis de gérer ce qui est inconfortable, ce qui est en hors de ton contrôle. Tu fais principalement un travail d’hyper ventilation qui te permet une bonne oxygénation de ton corps.
Et tu as dû également travailler sur ton alimentation ?
Effectivement comme tu n’as pas le droit de porter autre chose qu’un simple maillot de bain, même pas un jammer, il faut prendre un peu de graisse. Tu dois donc développer ce que l’on appelle la graisse brune. La graisse brune est une graisse qui est sous l’épiderme et que tu peux développer grâce au froid. Tout d’abord il faut manger plus, et en combinant le froid et une alimentation plus riche tu vas développer ta graisse brune. Cela m’a permis de prendre lors des 9 derniers mois 8 kilos.
Tu as également participé à des stages, dont celui que nous organisons à la Baule.
Je vais parler des stages parce que cela a été une très bonne expérience. Comme il est nécessaire d’obtenir une attestation prouvant que vous avez nagé au minimum 6 heures dans une eau à moins de 16 degrés, j’ai participé à un premier stage à Sydney en Australie. Ce premier stage s’est excessivement mal passé. La température de l’eau était comprise entre 14 et 14,5°, et j’étais traumatisé en ne pensant qu’aux requins présents parfois dans la baie et qui peuvent t’attaquer (rires). Je n’ai pas réussi le test et j’ai dû sortir de l’eau pour hypothermie au bout de 4h30. Mais j’ai énormément appris de ce stage. J’ai dû prendre plus de poids, modifier la façon de m’entrainer en augmentant le nombre de sorties en eau libre et nager au minimum 50 kilomètres par semaine, avec même une semaine où j’ai nagé 100 kilomètres. Puis lors du stage de la Baule, j’ai rencontré Ludivine Blanc (notre préparatrice mentale) qui m’a fait prendre conscience de choses que je n’avais pas envisagées. Elle m’a fait faire des exercices pour travailler l’hémisphère gauche de mon cerveau, la partie rationnelle. Elle m’a fait relativiser beaucoup de choses, et donc, dans une eau à moins de 16 degrés, j’ai réussi les 6 heures de nage à la Baule me permettant de valider définitivement ma traversée.
Après avoir tout validé, tu t’es retrouvé en Angleterre début septembre. Comment se sont passés ces quelques heures avant le départ ?
J’avais une période d’une semaine pour traverser sans connaitre le jour exact du départ. Cela dépend des marées, des courants et de la météo. J’ai commencé par rencontrer mon pilote qui m’a demandé quel temps je comptais faire pour réaliser la traversée. Je lui ai indiqué que si tout se passait bien je mettrais 10 heures, et 12 heures si cela se passait moins bien. Nous avons discuté ensemble de mes préférences, et il est venu me chercher à 5h15 le samedi 9 septembre pour partir à 6 heures de la plage Shakespeare Beach à Douvres, un lieu très inspirant. Me voilà parti en essayant de conserver une cadence constante, entre 56 et 60 mouvements par minute. Je devais rester sur cette cadence sinon cela voulait dire que je ne nageais pas assez vite et que j’allais me refroidir ; bref que j’allais subir les marées. J’ai finalement réussi la traversée en 10h19 en parcourant au total 40 kilomètres et atterrir au cap Gris-Nez.
La nutrition est importante pendant une traversée. Tu l’organisais comment ?
Pour ma nutrition je prenais 45 mg de Maltodextrine toutes les 45 minutes, ce qui a fait environ 10 stops de 2/3 minutes pendant la durée de la traversée. En enlevant les périodes de pause pour la nutrition, j’ai nagé au total un peu moins de 10 heures soit une moyenne de 4 kilomètres heure et 1’30 au 100 mètres.
As-tu eu des moments de doute pendant ta traversée, et si oui comment les as-tu vécus ?
D’abord dans mon coaching, Ludivine m’avait dit que je devais tout le temps travailler mon hémisphère gauche. J’avais des techniques. Tout le long je me récitais les tables de multiplication, j’avais appris 3 poèmes, je me rappelais mes motivations… et cela en boucle pendant 10 heures pour éviter de penser à l’eau froide, aux méduses, y a-t-il des requins ? des choses… Mais au bout de 7 heures, j’ai eu un gros coup de mou, une grosse baisse de motivation ! Cela a été très très dur pendant 45 minutes où j’ai lutté pour me remettre dedans.
Et comment as-tu réussi à passer au-dessus de cette forte baisse de motivation ?
J’ai repris ma routine avec l’aide de mes coachs, Seb et Ludivine, présents sur le bateau. Ils m’ont motivé, m’ont dit de ne pas baisser mon rythme. Ils me rappelaient sans interruption de ne pas baisser ma cadence, de conserver mon rythme, de mettre des jambes. C’était très technique et je me faisais engueuler, comme l’on peut parfois se faire engueuler à l’entrainement. Et petit à petit c’est revenu.
Une fois cette grosse difficulté passée, comment as-tu vécu la fin de ta traversée ?
Nous en étions à 8 heures de nage et ensuite cela est allé très vite. J’étais à moins de 8 kilomètres de la France et Seb me répétait « t’y es, t’y es » ! Je me suis convaincu que c’était bon. C’est allé très vite au point que je savais que mon ravitaillement arrivait et quand j’ai demandé à Seb « mais il est où mon ravitaillement ? », il me répond « tu y es mec, tu y es ». En fait il me restait que 800 mètres à parcourir. Et j’ai mis le pied à terre au Cap Gris Nez, et je n’y croyais pas.
Tu viens donc d’arriver en France, qu’elle a été ta première pensée ?
J’étais hyper content d’y être arrivé. J’étais sur un nuage et même pendant les quelques mètres avant l’arrivée, où je voyais le fond et les rochers, je ne me rendais pas compte qu’il n’y avait plus de fond. Je me suis même écorché contre un rocher avant de prendre conscience que je pouvais me mettre debout. Et enfin j’ai pu me dire que j’y étais arrivé avec une sensation d’euphorie totale, sans ressentir la fatigue. Mais avec la surprise de ne pas retrouver Seb et Ludivine sur la plage pour partager ce moment avec eux. Et lorsque je suis retourné sur le bateau, Seb et Ludivine qui m’avaient lancé avant le départ le challenge stupide qu’une fois arrivé en France je devais nager 20 à 30 mètres en papillon, m’ont obligé à réaliser ce challenge. Comme quoi je ne ressentais pas la fatigue, j’ai replongé à l’eau au milieu de centaines de méduses, et je ne suis pas marseillais, pour réaliser la longueur en pap !
Et depuis, comment te sens-tu ?
La fatigue m’a un peu rattrapé et je viens seulement de retourner à l’entrainement, mais avec beaucoup de difficulté à me motiver. Ce qui m’ennuie parce que c’était devenu ma routine de nager avec la sensation qu’il me manque quelque chose. Je m’interroge aujourd’hui sur ce que je peux faire, avec la difficulté de revenir dans la normalité quand tu t’es entrainé de façon aussi extrême. Mais je vais continuer à nager avec la ferme intention de me lancer dans un nouveau délire, sans connaître encore lequel (rires).
Interview réalisé par Laurent NEUVILLE le 26 septembre 2023