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7 Déc 2022

Ludivine Blanc : « Pour moi la douleur due au froid est atroce »

Pour la dernière interview de l’année, nous sommes allés à la rencontre de Ludivine Blanc, notre préparatrice mentale, qui chaque mois vous propose un sujet sur la façon de mieux préparer nos événements ou vos défis personnels. Cette fois-ci c’est elle qui prépare un sacré Challenge : participer au championnat de France Open de nage hivernale à Megève ce week-end, et au championnat du monde d’Ice Swimming à Samoëns en début d’année prochaine.

Ludivine, peux-tu te présenter et nous faire part de ton parcours de nageuse ?

J’ai 27 ans et suis née à Boulogne-Billancourt en région parisienne. Je suis issue d’une famille de sportifs qui m’a orientée très jeune vers de nombreux sports. J’ai pratiqué l’athlétisme, le judo, la natation, le tennis, et en grandissant avec le temps qu’il me restait après les devoirs de l’école, avec ma sœur on a conservé la natation. Mais mes parents nous avaient dirigées très vite vers la natation pour que l’on puissent jouer dans les vagues, et surtout ne pas se noyer. Du moins pour qu’ils n’aient pas à aller à « la pêche » toutes les 5 minutes. Finalement comme on aimait participer à des compétitions et nous entrainer, nous avons conservé la natation. Depuis j’ai obtenu de nombreuses médailles individuelles et en relais dans les différents championnats de France auxquels j’ai participé, et même battu un record de France universitaire. Après le bac j’ai rejoint le Cercle des Nageurs de Marseille, puis le club de Montpellier pour mes études universitaires. A Montpellier j’ai découvert le Sauvetage et depuis je pratique en parallèle les 2 disciplines. Cela m’a permis d’entrer au Pôle France de Sauvetage et de décrocher depuis 2 ans 6 médailles aux championnats de France. Cet été j’ai participé aux World Games au Mexique, compétition regroupant les sports non olympiques, et nous avons battu le record du monde du 4 X 25 mètres Mannequin en série avec l’équipe de France, et décroché la médaille d’argent en finale. Et même si je suis plus investie actuellement dans le sauvetage, j’ai malgré tout été présente aux derniers championnats de France de natation en grand bain et ai participé aux finales du 50 et 100 mètres nage libre. Je pratique également un peu de natation en eau libre l’été, et l’été dernier j’ai remporté le 6 km du Défi Monte Cristo et battu le record de la distance. Enfin je participe à quelques étapes Open Swim Stars Harmonie Mutuelle, quand je peux.

Après cette longue carrière « en eau chaude », nous venons d’apprendre que tu allais participer au prochain championnat de France Open de nage hivernale à Megève. D’où te vient cette idée saugrenue ?

Pourquoi l’eau froide ? C’est mon côté un peu rebelle, mon goût de relever des défis. Et après avoir vaincu ma peur de ne pas voir le fond lors des épreuves d’eau libre, je souhaite vaincre ma résistance au froid, moi qui suis très frileuse. Mais surtout dans mon métier de préparatrice mentale, où j’accompagne des personnes qui préparent le marathon des sables ou la traversée de la Manche à la nage, je me suis dit que je ne pouvais pas accompagner ces personnes en restant bien assise au chaud dans mon canapé. Du coup je me mets en difficulté. Déjà parce que j’aime bien cela et que cela faisait 2 ans que l’on me proposait d’essayer, et que je résistais. Et puis comme les prochains championnats du monde d’Ice Swimming sont l’année prochaine en France, et que je n’ai pas d’impératifs en natation sportive ou sauvetage, et bien je me suis lancée. Pour autant, pour cette première sortie en eau froide, je vais rester dans un truc « confortable », le sprint, et participer au 50 m nage libre et peut-être le 100 ! Je me déciderais à la suite de mes ressentis vendredi, avant mes épreuves qui débutent samedi.

Es-tu accompagnée médicalement pour préparer ce défi ?

Oui et non. En fait, j’ai assisté aux entrainements d’Arthur Guérin-Boëri, champion et recordman du monde d’apnée, lorsqu’il s’entrainait à la maison du hand à Créteil pour nager sous la glace. Cela m’a permis de rencontrer le cardiologue François Raoux qui m’a dit « si tu souhaites nager dans le froid, appelle-moi« . Et donc, quand je me suis lancée je l’ai appelé. Nous avons décidé ensemble de mettre en place un protocole que je suis. D’ordinaire, tout nageur avant de se mettre dans l’eau froide conserve son corps bien au chaud. Dans mon cas c’est l’inverse. Je porte un gilet de cryothérapie avant de rentrer dans l’eau pour m’éviter un trop grand choc thermique. Je fais un suivi de ma température corporelle, de mes sensations, de ma fréquence cardiaque et de ma pression artérielle. Mais il est important de rappeler que pour participer à ce type de championnat il faut impérativement obtenir l’accord préalable d’un cardiologue.

Tu habites à Montpellier, où la température est plus clémente qu’en montagne, et comment fais-tu pour te préparer à nager dans l’eau froide ?

Déjà au quotidien je m’entraine seule dans le public en piscine, et je vais dans une salle de « cryo » qui m’a aidée à découvrir les premières sensations de froid extrême dans une cabine à moins 90 degrés. Sinon je vais en mer, un peu chaude d’ailleurs, et le week-end je recherche des lacs où l’eau est plus fraiche. Elle était à 10 degrés le week-end dernier, même si c’est encore un peu chaud par rapport à ce que je vais découvrir à Megève. Enfin, il y a un bassin d’eau froide à 9 degrés chez mon kiné où je réalise des sessions de différentes durées en statique. Voilà, j’alterne en fonction de mes disponibilités.

Et physiquement comment te prépares-tu ?

J’avoue que j’ai un peu laisser tomber la PPG, la musculation et la natation ces dernières semaines. Mon plus gros problème c’est la tolérance au froid et j’ai axé mon travail sur du « cardio » avec François Raoux. Il m’a mis récemment dans un bassin à 8 degrés jusqu’à ce que le supplie de sortir (sourire). J’étais en statique avec des capteurs de partout qui m’empêchaient de bouger. Je préfèrerais nager en eau froide plutôt que de m’acclimater dans des bassins pour travailler ma tolérance au froid, mais je n’ai pas le choix. La mer et les lacs dans ma région ne sont pas assez froids.

Peux-tu nous parler de cette dernière expérience avec le docteur Raoux, et étais-tu en hypothermie à l’issue de ce bain froid ?

Pour le moment je n’ai que les résultats bruts de cette expérience, mais je ne suis pas aller jusqu’à l’hypothermie. Je suis sortie de l’eau au moment où je commençais à avoir très très chaud, ce qui est un des premiers indices de l’hypothermie. Ils n’ont pas encore fait la conclusion de ce test, mais en comparant mes résultats avec Marine Leleu, présente à mes côtés ce jour-là, elle tremblait plus que moi, bien que sa température corporelle fût plus élevée que la mienne à la fin du test. Ses organes se refroidissent moins vite, ce qui n’est pas mon cas. Le premier constat est que ma température corporelle baisse très vite.

Tu collabores depuis bientôt 2 ans à nos côtés en nous proposant des articles sur la préparation mentale. Tu nous dis régulièrement que tu as encore de nombreux sujets en stock, de quoi vas-tu nous parler prochainement ?

J’ai effectivement encore de nombreux sujets à aborder, comme la confiance et le dépassement de soi, où de se lancer des défis. Le dépassement de soi ce n’est pas seulement comment préparer un marathon, ou de se lancer dans un défi sans grande préparation physique par exemple. Comme professionnellement je me suis spécialisée dans l’accompagnement à la réalisation de défis, je me fais accompagner moi-même par un préparateur mental pour mon défi en eau froide. J’ai un énorme problème avec la douleur physique, et pour moi la douleur due au froid est atroce. Et le fait d’être suivie, de m’entrainer 3 fois par semaine dans l’eau froide, m’a fait largement chuter la douleur ressentie. Je travaille donc sur : comment je peux accepter la douleur du froid ! Avoir froid est une douleur très spécifique. Parfois pour moi c’est très compliqué, même si l’eau est à 10 degrés. Alors si je ne fais pas ce travail, je ne vois pas comment je ferai quand l’eau sera à 4 ! Travailler sur soi avec un rendez-vous précis, avec une personne qui vous pose des questions que l’on n’a pas envie de se poser permet de progresser beaucoup plus vite. Et comme je me suis lancée ce défi il y a seulement 3 mois, il fallait que je trouve une solution très rapidement.

Et enfin, quels sont tes espoirs pour ce championnat ?

Mon premier espoir, mon objectif le plus pur, sera de réussir à traverser le bassin de 50 mètres dans de l’eau à 4 degrés dans de bonnes conditions, alors que ma tolérance au froid est plus que catastrophique. On a aussi commencé à me parler de record de France ou du monde de la distance. Et même si ce n’est clairement pas un objectif lors de ce championnat, il y a mon côté compétitrice qui refait surface. Si je réussi à battre le record du 50 mètres à Megève ce serait formidable, mais c’est plutôt l’objectif que je me fixe à l’occasion du championnat du monde à Samoëns en janvier prochain, ou du moins de remporter le titre et de me rapprocher du record du monde.

Interview réalisée le 05/12/22 par Laurent NEUVILLE