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13 Avr 2023

L’océan m’a sauvé lorsque j’étais enfant

Ce mois-ci nous vous proposons de découvrir Fabien LEROUX qui prépare la traversée de l’Océan Atlantique à la nage. Départ programmé le 16 décembre prochain.

Bonjour Fabien. Peux-tu te présenter et nous faire part de ton parcours ?

J’ai 51 ans et suis originaire de Guérande en Loire-Atlantique. Je suis bercé par l’océan depuis ma plus tendre enfance et adolescence, et j’ai évolué entre Guérande, Le Croizic et Saint-Nazaire où j’ai fait mes études. Puis, pour des raisons professionnelles, j’ai dû quitter ma « Mer patrie », mais j’y reviens dès que je peux. Sinon je me dessèche. Aujourd’hui, j’habite dans la région parisienne et j’exerce le métier de Directeur Commercial sur 3 pays (France, Belgique et Luxembourg) dans le secteur de l’animalerie. Je vends des accessoires et alimentation pour animaux pour les grossistes, centrales d’achat et dans de très nombreux magasins.

Et cela te demande de réaliser de très nombreux kilomètres je suppose ?

C’est une bonne question. Lorsque ma boite m’a demandé ce que je souhaitais comme véhicule de fonction, j’ai répondu un « Van California ». Et donc aujourd’hui je sillonne les routes le jour, et le soir je pose le van devant un spot d’entrainement. Cela peut être la mer, un lac, peu importe. Depuis le Covid je ne vais plus à l’hôtel, je suis en toute autonomie. Cela me permet de vivre en autarcie, dans mon petit chez moi roulant, confiné. C’est une bonne préparation pour ce qui m’attend dans quelques mois.

Peux-tu nous présenter ton projet et nous révéler comment t’es venu cette idée de traverser l’Atlantique à la nage ?

Cette idée un peu folle m’a permis de sortir de mon lit d’hôpital. Le 18 février 2018 je fais un AVC dans ma voiture. Comme je suis très sportif je crois au début que ce sont des crampes. J’ai d’abord des fourmis dans le visage, puis cela descend et je commence à être paralysé du coté droit. J’arrive même plus à passer les vitesses. C’est seulement au bout de 3 heures que je me décide à aller aux Urgences pour obtenir le diagnostic : AVC. Au début je suis dans le déni total, jusqu’à ce que le neurologue me montre le scanner de mon cerveau et m’annonce que c’est au minima 6 mois d’arrêt. Je lui réponds que ce n’est pas possible, et je commence à faire des petites tractions à la poignée qui est positionnée juste au-dessus de mon lit. C’est un véritable combat qui s’installe en moi, jusqu’au moment où je vais carrément me débrancher et sortir de la chambre en boitant et me trainant comme je le pouvais. Les infirmières viennent vers moi catastrophées me demandant ce que je fais. Je leur dis que je souhaite seulement marcher ! Et après 3 tours du service, je sens que les choses reviennent, et me lance dans 45 minutes de footing avec les fils qui pendent. Elles étaient hallucinées. Elles s’étaient malgré tout positionnées à tous les coins du service au cas où je tomberais. Et le lendemain, veille de mes 46 ans, le neurologue me « vire » de l’hôpital après m’avoir fait faire toute une batterie de tests. Il m’a dit, « c’est bon, tout est réussi ». 6 mois plus tard, je revois le neurologue pour une visite de contrôle et la seule question que je lui pose est : « Est-ce que médicalement parlant je peux traverser l’Atlantique à la nage ? » Là il me répond : « C’est bon, allez-vous en ! »  (rires) C’est vraiment à ce moment que j’ai pris ma décision. Suite à cela, pour accompagner mon projet, nous avons monté l’association « Ocean Heart Project » avec ma fille Mathilde, ancienne nageuse artistique.

Pour se lancer dans une telle aventure il faut avoir été nageur ?

Dans ma jeunesse j’ai débuté la natation par la nage avec palmes. Au début en bi-palmes. Comme à l’époque il n’y avait pas de distinction de classement entre monopalmes et bipalmes, et que les nageurs en monopalme remportaient toutes les épreuves, je me suis mis à la monopalme. Et loin de moi de vouloir ressembler à une petite sirène, vu ma tronche ! (rires). Comme cela va très vite, que c’est très fluide, je suis resté sur la discipline. A la suite de cela, j’ai participé à plusieurs courses de grand fond, des traversées en mer, des 25 km des 100 km, mais jamais à la traversée d’un océan.

Tu as lancé ton projet en 2019 et en 2020 est intervenue la crise Covid. As-tu pu nager et te préparer pendant cette période ?

J’ai fait le mur pour courir ! Comme nous avions qu’une seule heure par jour pour sortir, j’étais comme un lion en cage. Il y avait cette préparation que j’avais commencé et c’était particulièrement difficile de rester à la maison. Malgré mes sorties, la période m’a mis un gros coup de frein. Je dirais même un stop ! Et notamment dans la recherche de partenaires pour créer la cellule d’accompagnement.

En visitant ton site internet, l’on peut voir que le coût du projet est important.

Le budget total du projet représente 155 K€, et la plus grosse dépense est la construction du radeau. C’est la maison flottante. Ce radeau a été conçu par François Lucas, architecte naval nantais, et fabriqué par l’atelier At.fa.co. C’est un radeau vraiment unique, conçu spécialement pour traverser l’Atlantique et que nous avons baptisé récemment à Pornichet. Pour le moment nous avons réuni 87 K€. C’est un montant que nous trouvons important au regard de la période anxiogène, étal difficulté de trouver des partenaires. Mon ancien métier était acheteur à Bruxelles et je gérais des millions, et aujourd’hui où je dois gérer mon budget c’est une autre histoire. Il nous reste près de 70 K€ à sourcer avant le départ en décembre prochain.

Quelle est ta préparation physique à 9 mois du départ ?

Le départ est programmé le 16 décembre du Cap Vert. La distance sera de 3 920 kilomètres pour rejoindre la Barbade et l’objectif est de réaliser la traversée en 50 jours. Jusqu’au départ mon programme sera de réaliser plusieurs traversées, dont celle de Belle-Île en Mer sur une distance de 30 kilomètres, de Noirmoutier à Pornic sur la même distance et l’aller-retour du Lac du Bourget. Ce sont de petites distances, mais je vais les réaliser avec le radeau afin de le parer de sa plus belle robe technologique. Nous devons notamment l’équiper de son système de navigation. Il n’a ni voile, ni rames, ni moteur et il doit se déplacer avec le courant. C’est pour cela que je pars du Cap Vert. Le courant et les alizés vont le pousser. Le radeau est équipé de safrans, 2 à l’avant et 2 à l’arrière. Les 2 à l’arrière sont raccordés à un pilote, lui-même relié à un GPS, qui permettra en cas de vents latéraux de conserver le bon cap. Les phases d’entraînement à venir seront principalement composées de courses à pied et de 2h00 à 2h30 de nage par jour. Mais comme le dit mon oncle, le « Boat Captain » du projet avec qui je ferai le point chaque jour, « Tu dois naviguer avec ton radeau, c’est capital! ». Et ces derniers temps, j’ai fait en sorte de sortir au maximum de ma zone de confort, comme plonger sous la glace à Tignes dans une eau à 2 degrés. Ces expériences me permettent de me conditionner et préparer mon corps à des conditions extrêmes qu’inévitablement je serai amené à rencontrer.

Tu comptes réaliser combien de kilomètres par jour pour boucler la traversée ?

Entre 60 et 80 kilomètres, mais il faut préciser que c’est la traversée de l’Atlantique à la nage et à la dérive. Je vais séquencer mes journées en 3 phases de 4 heures de nage. D’abord je nagerais en bi-palmes, puis un arrêt de 2 heures pour m’alimenter et communiquer. Retour à l’eau en monopalmes pour 4 heures avec à nouveau 2 heures de coupure, et enfin 4 heures de bi-palmes avec 8 heures de repos. Cela fait donc 12 heures de nage par jour et le reste à la dérive (2 à 3 nœuds/heure suivant les vents et le courant).

Dans les années 90 le français Guy Delage a réalisé la traversée de l’Atlantique à la nage…

Guy Delage avait réalisé la traversée en 1994, et pour répondre à une de tes premières questions sur comment m’est venue l’idée, j’étais à l’époque à l’armée et je me souviens avoir vu au journal de 20 heures l’annonce de son arrivée à la Barbade. Cela m’avait surpris et je m’étais dit : « c’est génial, moi aussi je vais le faire un jour ! » Puis cela m’est sorti de l’esprit jusqu’à mon AVC. Mais la différence entre mon projet et celui de Monsieur Delage, est que je ne recherche pas un record. Lui avait réalisé la traversée en 55 jours. Et même si mon souhait est de la réaliser en 50 jours, voire moins si les conditions le permettent, il avait un petit flotteur devant lui et il ne faisait que palmer. Ma technique est complètement différente. Je nagerai en crawl avec mes bipalmes et avec ma seule monopalme. Lorsque que j’avais 18/20 ans, ma vitesse de croisière en monopalme était de 12 km/h, ce qui devrait me permettre d’aller beaucoup plus vite que lui. Même si mon but premier est d’aller au bout en recherchant le dépassement de soi ; parce qu’il y aura inévitablement des moments difficiles.

As-tu essayé de prendre contact avec Guy Delage pour qu’il te partage son expérience ?

Alors oui. Il vit aux Etats-Unis et j’ai essayé de prendre contact par l’intermédiaire du monde du nautisme. Mais je ne sais pas pourquoi, je n’ai pas réussi à obtenir son contact. Ce monde est très fermé malgré ce que l’on pourrait croire. Pour ma part, si à l’issue de mon odyssée quelqu’un vient me demander comment je me suis préparé pour traverser l’Atlantique, je n’hésiterais pas une seconde à lui faire part de mon expérience. Cependant je conserve un espoir. Lors de la mise à l’eau du radeau, j’ai rencontré l’élu aux Sports de la Baule, Christophe Mathieu, qui avait pour projet il y a quelques années de traverser en nageant sans palmes et qui n’a pu aller au bout de son projet faute de moyens. Il avait échangé avec lui au téléphone à l’époque, et m’a dit qu’il essaierait de l’appeler pour nous mettre en contact. J’aimerais beaucoup avoir son expérience, parce que des personnes qui ont traversé l’Atlantique à la nage il n’y en a pas 36 000 !

En dehors de Guy Delage y a-t-il d’autres nageurs que tu pourrais contacter ?

Guy Delage a été le premier avec sa technique et je serais le premier à le réussir en nageant véritablement dans ce sens. Il y a bien Benoît Lecomte qui l’a réussi en 1998 dans le sens États-Unis/France mais il n’était pas en solitaire. Il remontait sur son bateau entre chaque mise à l’eau et il avait des personnes à bord qui gérait sa logistique. C’est une autre expérience et je ne la minimise pas. Le gars il a nagé, mais c’est différent !

Guy Delage a écrit un livre de sa traversée, l’as-tu lu ?

Oui bien sûr. D’ailleurs j’ai prévu un journal de bord où je vais retranscrire mon aventure. J’ai déjà commencé à écrire et une boite de production prendra des images et me suivra en bateau les 2 premiers jours de la traversée. Elle me rejoindra ensuite dans les derniers kilomètres avant l’arrivée à la Barbade. Ils ont déjà commencé à me suivre dans mes entraînements et mes tests de 6 heures dans des eaux à moins de 15 degrés, avec pour objectif de réaliser un film de 90 minutes à l’issue de l’aventure. Aujourd’hui l’audiovisuel est très important pour la communication d’un projet. D’ailleurs je ferai un post par jour avec l’équipe en France qui alimentera mes réseaux pour faire vivre l’histoire. Mais l’idée est de montrer comment l’Océan est incroyable, comment nous en avons cruellement besoin, et qu’il faut le respecter et le protéger.

Tu me permets d’aborder ma dernière question au sujet de la défense de l’océan. Quelles sont les actions portées par ton association Ocean Heart Project ?

Lorsque j’étais enfant, il y avait dans mon école primaire, puis au collège, une personne qui est aujourd’hui directrice d’école, Laetitia, de l’école du Guerno situé dans le golfe du Morbihan. L’école est située à proximité de la mer et Laetitia a mobilisé toutes les classes dans le projet de suivre ma préparation, puis la traversée. Tous leurs cours ont pour objet l’océan, et les enfants ont déjà commencé à réaliser une fresque sur l’océan dans la cour de leur école. La dernière fois, je suis allé avec 80 enfants sur la plage leur faire découvrir ma monopalme en carbone et leur raconter l’histoire de mon projet. Mais j’ai également lancé un concours de dessin dans les écoles en demandant aux enfants de décrire ce que représente pour eux la pollution plastique. Le dessin récompensé sera sérigraphié sur la coque de mon radeau, et le prénom de tous les participants y sera inscrit. A mon retour, il est prévu que je retourne dans les écoles participantes avec le radeau pour leur raconter la traversée. Les enfants sont la relève et j’espère qu’ils inciteront leurs parents à être plus respectueux, et mieux consommer !

Il y a pour moi la traversée et mon histoire, et de l’autre les enfants qui vont récupérer notre planète et que je veux faire rêver. Ce qu’on leur lègue n’est pas terrible. J’ai des enfants, dont le petit dernier qui a 9 ans, et je pense à eux. Ce n’est pas moi qui vais changer seul les choses. Je n’en ai pas le pouvoir, ni la responsabilité, mais au moins je vais mettre ma petite pierre pour montrer que nous devons tous protéger l’océan. Il représente plus de 70 % de la surface du globe et il nous permet de respirer grâce au plancton. Et il est même plus important que l’Amazonie ! Je souhaite également sensibiliser à la problématique de la pollution plastique. Les plastiques ont envahi nos océans et lorsque l’on sait qu’une baleine peut ingurgiter jusqu’à 40 kilos de microplastiques par jour, ça parle ! Si l’on jette une bouteille à la mer elle revient dans votre assiette, et je n’ai pas très envie de manger du plastique.

Pour revenir en arrière l’océan ma sauvé lorsque j’étais enfant. J’ai perdu ma maman à l’âge de 4 ans et il m’a toujours accompagné dans les périodes difficiles de mon existence, et je veux lui redonner ce qu’il m’a apporté.

Enfin, il y a aura aussi une dimension scientifique. Je suis en partenariat avec l’association RIEM, en lien avec l’IFREMER, et je vais réaliser des analyses grâce à des capteurs pour connaitre la température de l’eau, la turbidité, la salinité, etc., pour analyser les conditions du réchauffement climatique.

 

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Interview réalisée par Laurent NEUVILLE