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26 Nov 2020

Entretien avec Alex Portal « En 2024 j’aurai 22 ans, je serai à la maison et en pleine maturité physique pour obtenir des titres ! »

En pleine 2e vague, nous avons échangé avec Alex Portal, jeune nageur malvoyant de 18 ans. Il est vice-champion d’Europe du 100 m papillon en 2018 et du 200 m 4 nages en 2019, dans la catégorie S13. Cette dernière performance lui a ouvert directement les portes des Jeux Paralympiques de Tokyo. Rencontre.

Bonjour Alex. Peux-tu te présenter, nous dire de quel handicap tu es atteint et nous faire part de ton parcours de nageur et d’étudiant ?

Je suis Alex Portal, j’ai 18 ans et suis atteint d’albinisme oculaire de naissance. J’ai une absence de pigmentation au niveau de la rétine, et un nystagmus qui fait que mes yeux bougent tout le temps et m’empêche de fixer les objets. C’est une maladie génétique qui touche principalement les garçons. Dans ma famille nous sommes 4 enfants, 3 garçons et une fille. Seul moi et mon 2e frère sommes porteurs de la maladie.

J’ai commencé la natation à l’âge de 5 ans au club du Pecq dans les Yvelines où ma grand-mère tenait un club d’apprentissage de la natation. Depuis l’âge de 7 ans je m’entraine au Cercle des Nageurs de l’Ouest (CNO) à Saint-Germain en Laye. J’ai toujours nagé avec les valides et ai suivi le parcours classique d’un nageur de club. Aujourd’hui je nage toujours avec les valides et je participe régulièrement aux championnats de France Elite en petit et grand bassin. Ma meilleure performance est une 4e place sur 200 m papillon en juniors obtenue à Rennes en 2018. Aujourd’hui mon ambition est de continuer à nager en compétition avec les valides et d’y atteindre le meilleur niveau possible.

Parallèlement à la natation, et après avoir obtenu un BAC S avec mention bien, j’ai intégré cette année une Classe Universitaire Préparatoire aux Grandes écoles. Cela va me permettre d’obtenir une licence de Physique Chimie, et dans 2 ans une entrée en école d’ingénieur. Je ne rencontre pas de gros obstacles pour étudier malgré mon handicap, sauf que cela nécessite quelques aménagements. Je dois être positionné à 1 mètre du tableau avec le texte écrit en noir et en gros caractères, que je dispose de mes propres feuilles de cours et d’un ordinateur. Mon souhait à la fin de mes études est de devenir ingénieur dans les énergies renouvelables et intégrer un grand groupe.

Comment es-tu venu à la natation handisport et qu’elles sont les difficultés que tu rencontres pour nager ?

C’est mon entraineur, Guillaume Besnoit, qui m’a informé en 2016 que mon handicap me permettait de nager en handisport. Du coup j’ai participé aux championnats de France qui m’ont qualifié en équipe de France. En 2018, pour ma première « grosse compétition », j’ai remporté la 2e place du 100 m papillon et les 3e places du 400 m nage libre et du 200 m 4 nages des championnats d’Europe qui avaient lieu à Dublin. L’année dernière aux championnats du Monde à Londres, j’ai pris la 3e place au 400 m nage libre et la 2e place du 200 m 4 nages qui m’a permis de me qualifier directement pour les Jeux Paralympiques de Tokyo.

Quant aux difficultés rencontrées, comme je ne vois pas en 3D cela me demande un temps d’adaptation. J’ai mes repères dans mon bassin d’entrainement et cela se passe bien. Ce n’est bien sûr pas le cas quand j’arrive dans un nouveau bassin, où il est pour moi compliqué d’appréhender les virages. Il m’est arrivé à plusieurs occasions de manquer de me prendre le mur au virage ou à l’arrivée, notamment en papillon, pensant être à 3 mètres du mur alors que j’étais à moins d’un mètre. A part cela comme je nage droit naturellement, ce n’est pas trop invalidant pour m’entrainer et nager en compétition dans de bonnes conditions.

Comme tous les nageurs français tu n’as pas pu t’entrainer au printemps dernier. Comment as-tu vécu cette période ?

J’ai participé à ma dernière compétition en mars juste avant le confinement. Je n’étais pas « incroyable dans l’eau » et pas du tout satisfait de mes performances. Bien que je me savais déjà qualifié pour Tokyo, j’étais stressé. Le confinement m’aura d’abord permis de me reposer et le report des Jeux Paralympiques m’a rassuré. Pour autant, j’ai conservé 2h00 à 2h30 de préparation physique par jour avec une augmentation de la musculation. J’avais même installé une petite piscine dans notre jardin où je nageais en statique. Ce qui fait qu’à la reprise, j’étais plutôt bien et n’ai pas mis trop de temps à revenir à un bon niveau à l’entraînement. Finalement cette période sans nager aura été une bonne chose pour moi, et j’ai le sentiment que cela aura été bénéfique.

Tu évoques le report des Jeux Paralympiques, comment as-tu vécu ce moment ?

Comme je l’ai dit, cela m’a rassuré mais en même temps cette décision a quand même été assez dur à accepter. C’était beaucoup de travail perdu et mon principal objectif de la saison qui s’envolait. J’avais l’ambition d’y remporter une médaille, mais je me suis vite dit que pour moi c’était mieux. Je suis très jeune et un an de plus ne peut que m’aider à atteindre un podium. C’est du « plus » qui va me permettre d’encore progresser. Donc au final je n’ai pas à me plaindre, notamment vis-à-vis de ceux qui sont en fin de carrière et qui souhaitaient y briller.

Les Jeux de Tokyo sont de nouveau ton objectif. Quels sont tes espoirs de médailles ?

Je ne sais pas encore à quelles épreuves je participerai à Tokyo sur les 6 épreuves possibles dans ma catégorie, cela dépendra du programme. L’objectif à minima est de repartir de Tokyo avec les mêmes médailles qu’à Londres l’année dernière, avec l’ambition de monter d’un cran au 400 m nage libre et pourquoi pas « d’en gratter » une de plus sur 100 m papillon, soit faire 3 médailles. Pour l’or c’est plus compliqué. Pour le moment il y a un biélorusse, Ihar Boki, qui est vraiment très fort. Il a quasiment tous les records du monde et à Londres il a remporté 7 médailles (5 or et 2 d’argent) sur les 7 épreuves inscrites au programme des championnats du Monde (100 m papillon, dos, brasse, 50, 100 et 400 crawl et 200 m 4 nages). Je ne m’interdis pas l’or, mais par rapport à ma progression les titres sont plus envisageables aux Jeux à Paris. En 2024 j’aurai 22 ans, je serai à la maison et en pleine maturité physique pour obtenir des titres. J’espère vraiment y faire des choses incroyables.

Lors de la reprise de l’entrainement après le premier confinement, tu es allé nager en eau libre avec tes camarades de club. Peux-tu nous parler de cette expérience ?

A la sortie du confinement nous sommes en effet partis nager avec mon groupe d’entrainement pendant 15 jours dans un lac avant que notre piscine rouvre. Nous ne savions d’ailleurs pas si nous avions le droit de nager. Nager en eau libre ne me dérange pas trop, mais il faut que je sois accompagné. C’est un peu comme en athlétisme, il me faut un guide. Pour suivre les entrainements, nous étions dotés de petits écouteurs qui permettait à notre entraineur de nous parler et nous donner les instructions pendant les séances. C’est d’ailleurs le dispositif que j’ai utilisé lors de l’Open Swim Stars à Paris. Cela m’a permis d’éviter les obstacles et de nager droit, parce que j’ai eu tendance à me rapprocher du bord pendant la course.

L’Open Swim Stars Harmonie Mutuelle Paris était-elle ta première expérience de compétition en eau libre ?

Non, j’avais déjà participé à un championnat de France à Jablines mais les conditions étaient différentes. Je n’avais pas d’oreillettes et j’étais très stressé de perdre le camarade qui m’accompagnait pendant la course. Comme je ne vois pas les bouées de parcours, sauf quand j’arrive le nez dessus (rires), je ne prends pas les bonnes trajectoires et je n’ai pas l’impression d’avancer, ce qui n’était pas très agréable. Pour autant, c’était une bonne première expérience. L’OSS de Paris était ma 2e expérience d’eau libre et cela faisait depuis mars que je n’avais pas participé à une compétition. J’étais bien dans l’eau, il faisait chaud et j’ai beaucoup aimé prendre part au 5 km et 2 km. Et en plus de mon coéquipier qui m’accompagnait dans l’eau, ma mère, ma sœur et mon entraineur m’ont suivi à pied pendant les 5 km du parcours le long du canal de Bondy à Pantin. Ma mère m’encourageait en me parlant dans les oreillettes. A l’arrivée, je termine 3e du 5 km. C’était vraiment cool d’être à nouveau entouré de sportifs dans une très belle ambiance. Enfin, je tiens à remercier ma famille pour tout ce qu’elle fait pour moi au quotidien. Je suis très reconnaissant envers mon papa et ma maman qui font tous les trajets de la maison à la piscine. Sans le soutien de ma famille je n’aurai jamais eu cette réussite.